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1. Éclairages sur la démocratie

Ah, la démocratie ! Ce mot tant entendu, à droite, à gauche, ce mot davantage utilisé par habitude que par certitude, est aujourd’hui remis sur la table.

Car qui saurait dire ce qu’est vraiment la démocratie ? En effet, il existe une sacré différence entre la démocratie telle qu’elle a vu le jour, la démocratie telle qu’elle devrait être et la démocratie telle qu’elle est réellement. De ses premiers pas durant la Grèce antique, aux rois et seigneurs médiévaux, en passant par les nouveaux courants de pensées du Siècle des Lumières et la Révolution française, la démocratie a parcouru un long chemin.

À l’origine, ce régime politique naît sous le signe d’un espoir : celui de régler les relations de pouvoir entre individus d’une même société. Son objectif ? Instaurer la paix et ce, en réglementant les comportements et en amplifiant les libertés. Entre autres termes  : en créant des lois et en garantissant des droits. Cet accord entre le gouvernement et le peuple suppose le respect des libertés et l’égalité des droits.

À partir du Ve siècle avant notre ère, les cités grecques de l’Antiquité expérimentent les premiers moments de la démocratie. Que nous raconte la sémantique de ce terme ? Elle colporte en tout cas une idéologie bien différente de la nôtre aujourd’hui !

Du grec ancien "demos" qui signifie "peuple" et "kratos" le pouvoir, la démocratie signifie littéralement : le pouvoir du peuple.

Symbolisé par l’agora – assemblée citoyenne participative –, le pouvoir des citoyens athéniens et leur façon d’organiser la cité, pourrait aujourd’hui nous donner de quoi rougir, alors même que nous revendiquons nos démocraties occidentales comme des garantes de la participation citoyenne. Pour autant, ne nous y méprenons pas : à Athènes, seuls 10 % de la population (les hommes libres nés de pères athéniens) exerçaient leur influence sur les 90 % restants. Pas l’idéal donc.

Un saut dans la Rome antique, et nous voilà dans un régime garantissant la citoyenneté à tout homme libre de l’Empire romain, les femmes étant encore exclues de la vie politique à cette époque (et pour un moment...). Pour autant cette fois-ci, la citoyenneté ne s’accompagne pas du droit automatique de participer à la vie politique. La démocratie n’est jamais mise en place à Rome.

Après les premiers régimes féodaux, au sein desquels les seigneurs offrent protection et sécurité à la population en échange que celle-ci lui fasse don d’une partie de ses récoltes et remplisse des devoirs de corvées, c’est à l’arrivée des rois que le régime autocratique est à son apogée, notamment à travers la figure du roi Louis XIV. Cette époque est marquée par la naissance de l’absolutisme divin ; ça y est, une personne unique détient un pouvoir illimité et une autorité incontestable.

Au Siècle des Lumières, apparaît un nouveau courant de pensée qui pousse l’individu à se battre contre l’obscurantisme, conception du monde nourrie par la domination religieuse des esprits. De là, naissent les premières idées de séparation des pouvoirs, soutenues par Locke et Montesquieu.
La notion de "contrat social" émerge alors et porte en elle une idéologie de paix, prenant place au sein d’un État de droit. Au cœur de ce contrat : la poursuite du bien public.

En 1789, la colère du peuple contre le roi Louis XVI amène la Révolution française, qui fait surgir l’idée de "nation" composée de citoyens et détentrice de souveraineté. Elle donnera aussi naissance à l’élément fondateur de nos démocraties : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Ce texte est le premier à accorder aux citoyens des droits inaliénables. Avec son lot d'exclusion ! La Déclaration exclue explicitement les femmes et les esclaves. Jamais il n’a été dans l’intention de ses auteurs d’accorder aux femmes et aux esclaves les mêmes droits. Il faut rappeler que, lorsqu’en 1791, des femmes menées par Olympe de Gouges ont voulu compléter le texte de 1789 en proclamant une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, elles ont été persécutées, et de Gouges... guillotinée.

La nature de cette démocratie naissante fait déjà dissension !


1791, voit le retour de la monarchie constitutionnelle, qui prévoit le droit de vote, mais censitaire, c’est-à-dire, réservé aux hommes payant l’impôt, soit environ 15 % de la population. La constitution de la Convention (1793-1795), elle, prévoit le suffrage universel, mais ne sera jamais appliquée, du fait de la guerre.

C’est la deuxième République (1848-1852) qui permettra l’élection du président de la République au suffrage universel – ou semi-universel, les femmes en étant toujours exclues. Le corps électoral passe quand même de 246 000 à plus de 9 millions.

Enfin, c’est aussi à cette période qu’apparaît l’assemblée nationale, qui est représentative. Le pouvoir du peuple, cher à l’antique démocratie, est délégué à d’autres, représentants mais pas nécessairement représentatifs  :

« Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet État représentatif ; ce serait un État démocratique. »
Abbé Sieyès, Discours du 7 septembre 1789

Et les étrangers ?
La constitution de 1793, encore elle, déclarait :
« Tout homme né et domicilié en France, âgé de vingt et un ans accomplis, tout étranger de vingt et un ans, qui, domicilié en France depuis une année, y vit de son travail, ou acquiert une propriété, ou épouse une Française, ou adopte un enfant, ou nourrit un vieillard, tout étranger enfin qui sera jugé par le Corps législatif avoir bien mérité de l'Humanité est admis à l'exercice des Droits de citoyen français. »
Mais, comme on l’a vu, elle n’a jamais été appliquée. Depuis, le droit de vote des étrangers n’a jamais été reconnu. Depuis 1992 toutefois, les résidents étrangers de pays membres de l'Union européenne bénéficient du droit de vote et d’éligibilité aux élections européennes et municipales.

Il aura donc fallu attendre quelques milliers d’années pour que la démocratie élargisse son mécanisme de décision, en y intégrant les moins fortunés, les femmes – difficilement, elles n’obtiendront le droit de vote qu’en 1944, sur ordonnance du général de Gaulle –, mais tout en n’ayant qu’un lointain rapport avec la démocratie des origines, et son pouvoir direct des citoyens !

La démocratie aujourd’hui

La longue période de paix que nous connaissons en Occident, permise par la stabilité de notre gouvernement démocratique, bien que longtemps vantée à travers le monde, est aujourd’hui le clou rouillé de notre société. Car un gouvernement immobile n’est pas adapté à une société en constante évolution. La multiplication des manifestations de rue en sont notamment la conséquence. Face aux défis écologiques, sociaux, sanitaires, nos pratiques doivent être réinventées et le fonctionnement en silos, de la démocratie actuelle ne paraît plus adapté pour un grand nombre de citoyens et citoyennes.

Quel est le constat aujourd’hui ? Taux d'abstentions en hausse (66,7 % aux régionales de 2021, record absolu), désillusions, démobilisation, méfiance envers les institutions allant jusqu’au désintérêt, non-inscription sur les listes électorales...

Globalement, les citoyens et citoyennes ne se sentent pas représentés par le pouvoir en place et c’est un problème majeur, pour un régime qui se veut, justement, représentatif. La démocratie dont on s’est doté ne remplit donc plus ses fonctions et ne nous permet pas de répondre aux défis.

La gestion de la crise du Covid par le gouvernement semble être la goutte qui fait déborder le vase. Les restrictions des libertés individuelles et le renforcement du contrôle étatique exercé sur la population sont des mécanismes qui se sont intensifiés lors de la pandémie et qui participent aujourd’hui à cette désolidarisation démocratique croissante tout comme la non prise en compte des enjeux écologiques et sociaux pour lesquels les chiffres sont explicites, les mobilisations et alertes citoyennes et scientifiques régulières !

Selon une étude menée par Harris Interactive et Challenges, 61 % déclarent la démocratie en danger.

Bonne nouvelle : 74 % pensent qu’il y a urgence à la défendre...


Vers une culture démocratique inclusive

Cela fait un peu moins de 80 ans que les femmes, exclues longtemps de la démocratie, ont accédé au droit de vote. 77 ans sur les 230 ans depuis la naissance de la première démocratie française. La démocratie comme la république française furent et continuent d’être écrites au masculin. Mais alors, les femmes font-elles parties de l’idéal démocratique qui s’est construit depuis les Lumières ? Surtout, ont-elles leur place dans un système qui s’est construit sans elles et parfois contre elles ?
Si les femmes constituaient le groupe social exclu de la démocratie le plus imposant, beaucoup d’autres groupes sociaux furent privés du droit de vote. La richesse, l’origine ethnique ou d'autres spécificités ont longtemps été des critères pour bénéficier d’un tel droit. Alors, si la démocratie en tant que pouvoir donné au peuple était une belle idée, dans les faits, sa dimension inclusive et participative reste encore à inventer !

Il est donc légitime de se demander comment inclure celles et ceux qui l'ont été tardivement ou ne le sont pas encore. Notre système est-il capable de représenter la pluralité de notre population avec des intérêts différents, et si non, qui représente-t-il aujourd’hui ?

Réinventer notre démocratie, c'est donc, aussi, réinventer notre culture démocratique et notre éducation à la participation au projet de société !

Ressources complémentaires



Commentaires

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le 23.03.2022 à 19:58:13
Intéressants, ces éclairages, mais je suis étonnée qu'il n'y ait rien sur les classes sociales et leurs luttes. Si la démocratie réelle a pour objectif l'intérêt général, la pseudo-démocratie que nous connaissons est une lutte d'intérêts particuliers réunis en classes ou partis.
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le 23.03.2022 à 22:36:53
Belle intro !
Il manque juste un petit mot sur la monnaie. On voit bien aujourd'hui comment l'argent est au cœur du contrat social. Si une démocratie est une organisation sociale basée sur la répartition des pouvoirs entre citoyens et citoyennes, alors le pouvoir de battre la monnaie conditionne les règles du jeu démocratique.
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le 24.03.2022 à 09:35:54
J'aurai aimé un paragraphe aussi sur la période d'Athènes où il y a eu du tirage au sort, notamment avec l'institution de la dokimasie. J'invite à lire l'historien Danois Mogens Herman Hansen dans la démocratie athénienne à l'époque de Démosthène, qui veut voir un pan sûrement plus démocratique que l'Histoire officielle ne veut bien le dire. https://www.lesbelleslettres.com/livre/9782251380247/la-democratie-athenienne-a-l-epoque-de-demosthene
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le 30.03.2022 à 17:31:39
Merci Tony pour votre commentaire. J'ai ajouté l'ouvrage dans les Ressources.
Je vous invite à lire l'article que nous avions rédigé sur le Mag, qui évoquait notamment le tirage au sort : https://www.colibris-lemouvement.org/magazine/democratie-athenienne
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le 24.03.2022 à 09:38:58
La remarque récurrente que seulement 10% des athéniens ne participait au vote fait toujours plus echo à l'abstention jamais vraiment quantifiée dans notre époque et notre pays, si on ajoute à ceux qui ne viennent pas voter, les non-inscrits, et que l'on comptabilise des bulletins blancs dont la fonction seraient de signifier l'annulation d'un scrutin.
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le 24.03.2022 à 14:56:29
il y a juste une toute petite différence entre les époques passées et la nôtre, c'est la télé ! son avènement au sein des foyers a été décisif pour celui de l'endoctrinement massif à des modes de pensées de plus en plus dirigés et contrôlés. Out la démocratie dans ces conditions !
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le 30.03.2022 à 17:33:34
Merci Merry, c'est vrai ! Nous abordons la question cruciale des médias dans le module 3, qui vient d'ouvrir !
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le 25.03.2022 à 15:03:25
Ce résumé de l'histoire des démocraties à travers le temps m'a bien intéressée et me donne envie de découvrir la suite.
Il n'est pas simple de co-créer une démocratie tendant vers l'idéal pour le bien de tous à l'heure de l'urgence climatique, écologique, humaine . Une vision universelle, qui commence par une remise en question personnelle est incontournable pour y parvenir, il serait bon sans tarder.
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le 26.03.2022 à 09:38:26
Bien résumé !
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le 26.03.2022 à 09:49:57
Les textes étaient aussi écrits... par ceux qui savaient écrire...donc pas majoritairement par le peuple
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le 29.03.2022 à 22:33:33
L’élection est par essence anti-démocratique. Élire des maîtres c’est renoncer à la démocratie. La maîtrise de notre constitution, texte suprême, qui théoriquement devrait être un garde fou contre les abus de pouvoir, est essentielle. Ce n’est pas aux hommes de pouvoir d’écrire la constitution, mais bien au peuple.. Pour un processus permanent constituant populaire.
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le 30.03.2022 à 18:16:01
Je suis bien d'accord sur le fait que d'élire des maitres est anti démocratique, il faut vraiment en sortir...
Mais comment s'y prendre lors du vote ?
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le 08.04.2022 à 11:39:38
Je crois aussi qu'à partir du moment où il y a des élus, qui se pensent comme tels la démocratie recule ; parce qu'après une élection les élus intègrent une sphère plus ou moins déconnectée du peuple et de la terre d'où ils sont issus.
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le 11.04.2022 à 22:24:31
Je remarques une chose dans ce qui est dit : poursuite d'un bien public. Construire un commun auquel, autour duquel s'organise et s'harmonisent de légitimes autonomies. Présence de sphère privée à côté de celle publique, qui correspond à l'intérêt commun. Comment faire face à ce défi du commun tout en intégrant le particulier et le personnel. Si beaucoup de choses sont évoqués sur libertés et droits, leurs pendant dans un régime de "société" de vie commune que sont la "responsabilité" et les "devoirs" auraient pu être soulignées. Car si personne ne veut avoir de maître et subir la pression de la maîtrise de l'autre, attention de ne pas devenir les maîtres des autres. Un corps social peut devenir lui aussi un maître cruel et monstrueux. Enfin, je note que face aux défis commun, telle que l'urgence climatique ou les conflits et problématiques sociales, il n'est pas bon ton de trier qui peut participer à la résolution du problème commun. Quand le bateau coule, on prend les bras de tout le monde pour écoper.
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le 03.07.2022 à 00:38:22
Centré franco français. Serait intéressant d’élargir à d’autres pays et donc d’autres formes de démocratie, ouvrant une perspective plus large.
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le 11.07.2022 à 15:09:25
Bonjour Mia,
Vous avez raison. La première version du Mooc intégrait la dimension internationale. En particulier avec l'exposition itinérante à laquelle nous avons contribué : Les Voies de la Démocratie. Vous pouvez retrouver les contenus ici : https://drive.google.com/drive/folders/1PyTHUEZRhDY-g61JeDZ9xzF7V-6zIGhf