Table des matières

8. Société civile et démocratie

Quel avenir pour le monde associatif ? C'est à cette question que tente de répondre un collectif de chercheurs et d'acteurs associatifs dans le livre "Quel monde associatif demain ? Mouvements citoyens et démocratie", publié en mai 2021 aux Éditions Érès.

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Ce livre retrace l’histoire du mouvement associatif et son importance pour la vitalité démocratique de notre pays. Il interroge également les mutations récentes du « tiers-secteur ». Dans un contexte marqué par plusieurs dissolutions d’associations, fruit de la décision unilatérale du Ministère de l’Intérieur, il apporte de précieuses clés de lecture pour comprendre les risques qui pèsent sur les libertés associatives et plus largement sur le fonctionnement de la démocratie en France.

L’associationnisme naît au début du XIXème siècle sous une forme d’auto-organisation de citoyens libres et égaux qui pensent l’économie et le politique comme un tout au service d’une société plus solidaire. Le mouvement s’inscrit dès le départ dans une vision émancipatrice plus que réparatrice : il pense la fin des inégalités tout en soulageant la souffrance qu’elles infligent sur l’instant, et propose ainsi une « troisième voie » guidée par la notion de bien commun. Dès la fin du XIXe siècle les mouvements d’organisation populaire connaissent une forte répression, le capitalisme s’impose en maître avec l’idée d’une croissance économique qui profiterait à tous et répondrait aux problématiques sociales. Cette dynamique se poursuit au XXe et XXIe siècles, aboutissant à la production d’une « économie sociale et solidaire » certes reconnue mais largement affaiblie et dépolitisée.

L’État tend à considérer le monde associatif comme un ensemble d’opérateurs uniquement chargés de répondre aux défaillances du Marché et, ce faisant, enterre une grande partie de sa richesse. L’association de personnes au service d’un projet particulier et sur un territoire donné produit des effets qui s’inscrivent au-delà des activités de « sous-traitance du service public » qui sont effectivement mises en œuvre : elle permet le développement d’une pensée collective, politique, de la manière dont s’organise notre société, et positionne les citoyens-usagers au centre des dispositifs qui leurs sont dédiés. Ce faisant, elle s’impose comme une des chevilles ouvrières de la vitalité démocratique de notre pays.

Cependant, voyant les attaques qu’a subi le secteur associatif ces dernières années, on peut à juste titre s’interroger sur la volonté de l’État de reconnaître ces caractéristiques et de les laisser s’exprimer pour entretenir la dynamique démocratique.

D’une part, nous observons que de nombreuses revendications portées par ces acteurs ont conduit les pouvoirs publics à entraver leurs actions comme l’a montré le rapport 2020 de l’Observatoire des libertés associatives. Ces entraves, qui peuvent être d’ordre matériel, symbolique ou judiciaire, nourrissent des formes d’auto-censure et appauvrissent mécaniquement notre démocratie. À titre d’exemple, en novembre 2018, Mme Nicole Belloubet, alors ministre de la Justice, retire l’agrément du Genepi et motive sa décision de la manière suivante : « le Genepi développait des thèses qui sont très hostiles a la politique publique que nous conduisons […]. Donc ce n’était plus une politique partenariale sur les ambitions que nous avions, mais une politique au contraire d’opposition quasiment frontale et permanente. Donc j’ai pris une décision qui est de supprimer la subvention ».

D’autre part, il semblerait que l’État cherche par une série de réformes juridiques et fiscales à opérer une transformation du secteur en y intégrant les logiques et acteurs du capitalisme contemporain. Entre 2009 et 2014 le nombre de fondations a augmenté de 43% et les fonds de dotation se sont multipliés de manière spectaculaire depuis 2011, signe d’un fort développement de la philanthropie privée. Les logiques d’appels à projets ont imprégné l’ensemble de la société, mettant en concurrence les acteurs associatifs et favorisant les grandes structures au détriment des opérateurs plus locaux. De nouveaux entrants à but lucratif ont fait leur apparition, se rémunérant aux frais de l’État via des dispositifs tels que les contrats à impact ou poursuivant des stratégies de dumping économique et social pour remporter divers « marchés » au détriment de la qualité des actions.

Ces transformations à l’œuvre doivent nous ré-interroger sur la fragilité de ce que nous considérions comme acquis : la démocratie. Quel intérêt aurait un État démocratique à brider la capacité d’expression qu’avaient trouvés les citoyens dans le véhicule associatif ? Quelles menaces font peser le transfert de la prise en charge des défaillances du Marché des acteurs publics vers ceux-là mêmes qui les ont provoquées ? Que penser de la mise en retrait de l’État et des associations au profit d’acteurs non tenus à une gouvernance démocratique ?

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Ressources complémentaires



Commentaires

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le 06.04.2022 à 21:13:13
Merci pour cette prise de conscience du changement de paradigme à l'œuvre. Les acteurs associatifs doivent ils singer le marché concurrentiel ?
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le 07.04.2022 à 13:06:49
les associations sont précieuses, elles répondent à l'incompétence des gouvernements à répondre sur des sujets de sociétés qui font notre quotidien. Les bénévoles sont des personnes formidables qui rassemblent des savoirs hors du commun. GRATITUDE
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le 14.04.2022 à 17:06:39
Il me semble difficile de parler "des" associations en général, tant elles sont diverses par leur taille et par leur objet. Leur nombre toutefois m'interpelle, et je pense que - en tout cas pour les associations de lutte - cette multiplicité est un handicap. Si pour lutter, on est trop petit, on est impuissant. Mais si on est un mastodonte lourd à manier, on est tout aussi inefficace. L'urgence serait d'avoir des associations à "taille humaine" mais sachant vraiment travailler en synergie avec d'autres qui poursuivent un objet similaire. Hélas, beaucoup d'associations craignent que la synergie mène se faire absorber. On se heurte à une grande immaturité dans la gouvernance.
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le 15.04.2022 à 10:16:38
Les associations n'emploient pas que des bénévoles. Nombre d'entre elles ont des salariés. Par contre, elles sont à but non lucratif, donc, bien qu'œuvrant dans le marché concurrentiel, elles sont en décalage de par leur finalité et leur mode de fonctionnement.
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le 01.05.2022 à 18:52:32
Les associations sont confrontés au pouvoir de l'Etat, mais elles peuvent aussi être manipulées, combattues par le pouvoir municipal.
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le 02.05.2022 à 17:48:58
J'avoue que la reprise de nombre d'acteurs associatifs et notamment les Cada par le groupe SOS me pose question ! Que dire également de ce "contrat républicain" que l'on veut faire signer aux assos pour qu'elles ne s'opposent pas à l'Etat?
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le 27.05.2022 à 20:39:09
Comment ce qui est écrit ici résonne-t-il par rapport au point 6 qui développe comment le numérique réduira le rôle des corps intermédiaires dans la vitalité démocratique (si j'ai bien compris)?