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4. Conventions citoyennes : les citoyens au cœur du débat démocratique

Démocratie Ouverte définit les conventions citoyennes comme des « Assemblées éphémères (mandat limité à un objet) composées au minimum de cent citoyennes et citoyens tirés au sort, représentatifs de la diversité des habitants d’un territoire, réunis dans un processus délibératif indépendant et intense (plusieurs jours) sur une période limitée (plusieurs semaines à quelques mois) pour répondre à une demande ou question précise, en lien direct avec une décision politique. »

Il s’agit donc d’un processus qui participe à une démocratie délibérative et inclusive. Suite à des débats, ateliers et diverses confrontations avec des experts, des citoyens et citoyennes font émerger des propositions pour répondre à une problématique particulière. Le gouvernant pourra ainsi se saisir de la convention créée, adopter certaines propositions ou s’en inspirer largement.

Voici quelques grands principes indispensables à la constitution d’une assemblée citoyenne :
  • Le tirage au sort : diversité et inclusion. Les citoyens et les citoyennes doivent représenter la diversité de la population (critères géographique, d’âge, de genre, de niveau de diplôme, de catégorie socio-professionnelle…) tout en étant choisi·es par un mécanisme aléatoire.
  • L’audition d’experts aux avis contradictoires. Les citoyens et les citoyennes doivent recevoir des expertises et des propositions contradictoires pour pouvoir construire eux-mêmes des propositions originales, en ne reproduisant pas seulement ce qui a été entendu.
  • La transparence et la médiatisation des débats. Tous les ateliers et débats organisés doivent être retransmis, par souci de transparence mais aussi pour qu’un maximum de public puissent les suivre.
  • Un droit de suite : la réponse à la réponse. Une fois terminé, les participant·es doivent pouvoir savoir ce que deviennent leurs travaux et surtout quelle réponse publique y sera apportée.

Entre octobre 2019 et juin 2020 s'est déroulée la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC), une première en France. L’objectif était d’établir une stratégie pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de la France d’au moins 40 % d’ici 2030, tout en garantissant une justice sociale. Après sept sessions de travail, organisées par des chercheurs et experts sur différents thèmes s’inscrivant dans la lutte contre le dérèglement climatique, les 150 personnes tirées au sort ont établi 149 propositions concrètes.

Les forces de la CCC

Tout d’abord, un tel processus est une grande source d’espoir qui participe à « l’ouverture de l’imagination démocratique » (1) ainsi qu’à intégrer (enfin) de la souveraineté populaire et de la délibération dans nos institutions !

Parmi ses intérêts, on peut aussi citer la capacité d’un tel processus à gérer des problèmes sur le long terme. En effet, les membres ne se soucient pas d'une quelconque réélection, et peuvent s’investir dans leur travail. De la même manière, les tiré·es au sort s’emparent de sujets très controversés qui donnent souvent lieu à des blocages politiques, comme ce fut le cas pour la taxe carbone. Leur regard apolitique leur permet de donner des solutions réalistes prenant en compte les intérêts de toutes et de tous.

Le citoyen lambda a ainsi été réhabilité ! La CCC a permis de prouver à une grande échelle et de façon très médiatisée que oui, tout·e Français·e bien informé·e est capable de comprendre les enjeux présentés, d’innover, de débattre (2), et de proposer des mesures.

Les faiblesses de la CCC

Cependant, des détracteurs du CCC ont critiqué ses membres, les accusant d’être des « dictateurs » ignorants et manipulables. De son côté, Dimitri Courant, chercheur en sciences politiques, et spécialisé dans la démocratie participative, a alerté sur le besoin de cadrage des procédures délibératives : les membres d’une assemblée citoyenne ne doivent pas être dirigés par la volonté politique. Il critique ainsi le non respect de l’égalité du temps de parole ou l’absence de débats contradictoires, regrettant par exemple l’absence d’intervention d’experts qui auraient illustré le débat entre les partisans de la croissance et ceux de la décroissance. L’Observatoire des multinationales accuse quant à lui les lobbys industriels d’avoir « mené une guerre de l’ombre contre la convention climat » (3). Réciproquement, ces derniers y sont allés de leur complainte, se disant victimes des « manœuvres écologistes », ou d’« avion bashing » !

La CCC ne peut pas non plus se targuer d’être réellement « représentative », ses membres n’étant finalement que des citoyens parmi les citoyens : 150 individus ne peuvent être représentatifs d’un pays tout entier. D’autant plus que, pour tirer au sort les membres du CCC, n’a pas été inclus le critère « d’origine ethnique », pourtant utilisé dans les pays anglophones, mais considéré comme discriminatoire en France. Enfin, les personnes tirées au sort n’ont pas eu d’obligation de participer à la CCC... Donc d’une part, nous n’avons certainement pas pu entendre celles et ceux qui ne se sentaient pas légitimes, ou peu concernés par les enjeux climatiques. D’autre part, cette disposition n’a pas pris en compte les individus qui ne pouvaient pas se permettre d’investir autant de temps, d’argent et d’énergie dans un tel processus...

L’avenir des assemblées citoyennes dans le monde

Les faiblesses que nous avons abordées ne constituent pas de véritables freins à l’évolution d’un processus comme celui de la CCC. Ce que l’on voit, c’est le manque flagrant de volonté politique. Seulement 10 % des propositions faites par les membres de la CCC furent retenues "sans filtre" (4). Les 90% restantes ont été soit supprimées et ignorées, soit vidées de leur substance. Un énorme travail de sape, que l'on doit au gouvernement et à la haute fonction publique...(5)

Dans d’autres pays, les assemblées ont été expérimentées avec plus de bonheur. C'est le cas de l’Irlande, où l’on peut parler de mise en place d’une véritable démocratie délibérative. Des conventions citoyennes ont en effet permis de légaliser l’avortement par les Irlandais·es en 2018, le mariage entre personnes de même sexe en 2012 (suivi d'un référendum populaire en 2015), et d'abroger le délit de blasphème en 2018…

Pour Cyril Dion, garant de la convention, cette dernière « a réussi à construire un plan solide, répondant à des objectifs climatiques et sociaux ambitieux. (…) Elle a réussi à proposer un point d’équilibre acceptable par le plus grand nombre et plus ambitieux que ce qu’aucun gouvernement français n’avait proposé jusqu’ici. » (6)

« Sur bien des enjeux, les assemblées tirées au sort ont produit des délibérations de grande qualité », conclut Dimitri Courant. Pour ajouter : « mais peuvent-elles sauver la planète ? » L’auteur met en avant le besoin de changements de paradigme profonds – comme la nécessaire décroissance –, auxquels les participants aux assemblées n’ont pas forcément été confrontés. La question reste donc, sommes-nous prêt·es, citoyens et citoyennes, à entendre la nécessité de ces changements profonds et radicaux ?




Notes

(1) Défis et perspectives politiques, institutionnelles et normatives des Assemblées citoyennes : une approche depuis l’exemple de la Convention citoyenne sur le climat, par B. Delooz, Revista Brasileira de Politías Publías, Brasília, Vol 10, n 3, 635-651, 2020.

(2) La convention citoyenne pour le climat : une représentation délibérative, par Dimitri Courant, Revue Projet, Vol 5, n°378, 60-64, 2020.
(3) Lobbys contre citoyens : qui veut la peau de la Convention Climat ?, Observatoire des multinationales, janvier 2021.
(4)Convention pour le climat : seules 10 % des propositions ont été reprises par le gouvernement, par Gaspard d’Allens, Nicolas Boeuf et Léa Dang, Reporterre, 31 mars 2021.
(5) Comment le pouvoir a démoli la loi climat, par Jade Lindgaard, Médiapart, 31 mars 2022.
(6) Cyril Dion : « La convention citoyenne pour le climat a permis de mesurer à quel point la démocratie est un exercice exigeant », Le monde, 07 mars 2021.

Commentaires

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le 06.04.2022 à 19:09:30
"L’Observatoire des multinationales accuse quant à lui les lobbys industriels d’avoir « mené une guerre de l’ombre contre la convention climat » (3).". Non, ce langage porte à croire quelque chose de faux. Traduit, cela donne. Les lobbys travaillent pour leur propre intérêt et certaines personnes n'y trouvent pas le sens d'un homme politique qui est l'intérêt général. Faites ce deuil honnêtement. Les lobbys font leur travail, légalement dans l'ensemble. C'est au citoyen de créer et de gérer une institution pour se protéger et protéger le pays de se travail des lobbys. non?
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le 07.04.2022 à 12:01:13
Merci Tony de votre retour. Dans l'absolu, vous avez raison. Mais les lobbys outrepassent les règles, comme le dit Claire Nouvian dans le module précédent.
Quant aux solutions pour encadrer le travail des lobbys, certaines sont présentées dans le Pacte Démocratique, que nous évoquons à la fin de ce module (activité 9).
Le lien direct : https://fairegagnerlademocratie.fr/le-pacte-democratique/
Bonne continuation !
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le 25.04.2022 à 11:32:15
un pacte. Et puis alors que ce passera-t-il s'il n'est pas respecté? nous aurons un nouveau pacte, comme les COP 21 ou les promesses d'actions climatiques pour dans 20 ans. Est-ce satisfaisant? pas pour moi
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le 14.04.2022 à 16:44:17
Votre argumentation me gène un peu car elle laisse à penser que nous serions responsables des abus de certains au prétexte que nous ne sommes pas capables de mettre en place un système qui nous protège de ces personnes. Il faudrait donc prévoir le pire ?
Quand Monsanto ou Philip Morris soudoient des scientifiques pour établir de faux rapports dans le but de minimiser l’impact de leurs produits sur la santé et la planète, considérez-vous qu’ils font leur travail ou qu’ils commettent des abus ?
En ce qui me concerne, certaines pratiques vont au delà de l’entendement. Comment dés lors pensez une société pour s’en prémunir ?
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le 15.04.2022 à 17:48:50
Je vous invite à venir assister au webinaire « Lobbys : la politique au service des intérêts privés ? », que nous organisons jeudi 21 avril à 19h ! Vous pourrez poser vos questions.
C'est gratuit et sur inscription : https://colibris.cc/forms/?WebinaireLobbies
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le 25.04.2022 à 11:41:35
@garreau.jehanphilippe_14619 Merci de pointer l'inconfort de mon commentaire. Oui, nous, citoyen français, sommes habitués à être déresponsabilisés en votant pour des candidats de temps en temps. Vous dites "prévoir le pire". Pas vraiment. Il s'agit simplement de prendre la responsabilité de nous rappeler notre besoin de sécurité face à des représentants, que de plus en plus de personnes pourrons influer de plus en plus contre "ces abus", plutôt ces personnes travaillant pour eux-mêmes, comme ces journalistes et scientifiques. Cela peut s'organiser en une institution citoyenne, une culture non-officielle et pourtant plus vivante que des lois.
Pour l'endettement, je n'ai pas saisi votre questionnement. Une dette est un lien indispensable, et c'est un non-sens de la rembourser intégralement. Au-delà d'Adam Smith, l'argent est un échange continu, une histoire de dons et contre-dons.
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le 25.04.2022 à 12:01:19
@garreau.jehanphilippe_14619 quand vous dites : "nous serions responsables des abus de certains au prétexte que nous ne sommes pas capables de mettre en place un système qui nous protège de ces personnes."
Oui! pourquoi attendre de ceux qui sont à l'origine du problème qu'ils résolvent le problème?

Ce serait comme reprocher à des chauffards de ne pas inventer un permis de conduire. C'est au famille des personnes mortes par la faute des chauffards de mettre en place et de faire respecter un code de la route, quand le chauffard c'est l'état qui gère la sécurité routière!

@gregory_133
pourquoi faire un accord avec ceux qui sont à l'origine du problème?

Ici, ce serait tenter de faire un contrat avec des chauffards habitués à ne pas appliquer le code de la route qu'ils appliquent via une force policière pour tout le monde. Ce contrat ne demanderait même pas que les chauffards aient un permis de conduire, seulement qu'ils respectent le code de la route… qui s'apprend lors de l'examen du permis de conduire…

Je comprends qu'un pacte participe de la création d'une culture citoyenne. Je rêve plus d'une institution qui puissent impliquer toutes les personnes inscrites sur les listes électorales, dans une action de protection des citoyens par un examen régulier, si ce n'est constant, des représentants politiques. C 'est bien ainsi que nous agissons sur le réseau routier?
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le 29.10.2023 à 18:48:49
On se réjouit dans cet article que l'Irlande, grâce à une démocratie participative, ait obtenu la légalisation de l'avortement, le mariage pour tous et d'abroger le délit de blasphème. C'est une plaisanterie j'espère?! Il faudrait d'abord comprendre ce qu'il y a derrière ces volontés: LA DESTRUCTION DE LA FAMILLE, tant souhaitée par les hauts fonctionnaires d'Etat. Bien-sûr qu'ils aient obtenu gain de cause :/!!!