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4. Lobbys : quand la politique se met au service du système économique

Le lobbying, c'est quoi ? D'après la HATVP (Haute Autorité pour la transparence de la vie publique), « le "lobbying" ou la "représentation d’intérêts" désigne une activité qui consiste à prendre l’initiative d’entrer en contact avec des personnes chargées d’élaborer et de voter les lois ou de conduire l’action de l’État (...) pour influencer leurs décisions. »

Armel Le Coz, de Démocratie Ouverte, nous explique le fonctionnement des lobbys, et ce qu'il faudrait faire pour le réguler.



Influencer les décisions publiques, c’est donc le travail des lobbys. Le lobbying est une activité légale. On peut d’ailleurs considérer qu’elle est inévitable dans tous les systèmes politiques représentatifs : il est tout à fait logique et normal qu’une entreprise cherche à défendre ses intérêts auprès de représentants dont les choix peuvent impacter directement ou indirectement ses activités. Par contre, ce qui est problématique, c’est quand ces activités ne se font pas en toute transparence. Comment avoir confiance dans le processus de construction d’une décision publique, si on ne peut pas savoir quelle entreprise ou groupe de pression est intervenu à quel moment, de quelle manière et avec quel budget ? La transparence, premier pilier d’une démocratie ouverte, est souvent oubliée, parfois même par les acteurs de l’innovation démocratique eux-mêmes, comme en témoigne cet article (1) de David Reydellet pour Démocratie Ouverte.

Le financement du lobbying

La disproportion de moyens alloués aux différentes activités d’influence pose aussi de gros problèmes. Alors que les organisations non-lucratives ont globalement peu de moyens pour défendre l’intérêt général, les défenseurs d’intérêts particuliers, surtout les plus grosses entreprises, dépensent des sommes colossales pour faire du lobbying(2). Là aussi, c’est la culture du secret qui est de mise. Malgré la récente mise en place d’un registre du lobbying en France, il est impossible de connaître avec précision les sommes réelles dépensées par les multinationales et la manière dont elles les dépensent pour faire du lobbying(3). Pour les plus grandes multinationales, ces dépenses se comptent en millions d’euros tous les ans(4). La plupart des grands groupes développent des stratégies ultra-perfectionnées pour influencer les décideurs, à tous les niveaux de construction d’une décision publique :

- Très en amont des décisions, en participant au financement des campagnes électorales, voir en contribuant directement à la construction des programmes politiques des candidats. Difficile pour un élu de trahir un grand mécène. Encore plus difficile, s’il cherche à se faire réélire, de prendre des décisions qui pénaliseront un des financeurs de son parti et de sa campagne électorale à venir.

- Auprès de la Commission Européenne où sont préparées les directives qui devront obligatoirement se traduire dans les lois nationales de tous les états membres. À Bruxelles, on compte plus de 30 000 lobbyistes ! Les décisions de la Commission Européenne modèlent la société de demain. L’impact pour les entreprises peut être énorme, en positif comme en négatif. Il en est de même au Parlement européen :

Le poids des lobbys à Bruxelles
« Vous pouvez pénétrer dans le Parlement [européen, ndlr] comme dans un moulin, dès lors que vous vous inscrivez sur le registre de la transparence et que vous demandez une accréditation de lobbyiste. Sauf qu’aucune des informations que vous fournissez n’est vérifiée, c’est une procédure plus que légère ! Les lobbys envoient aux institutions des mails truffés de mensonges, ils utilisent des badges de presse pour accéder au Conseil des ministres de l’UE (…) mais aucune sanction n’est prise. Voilà le niveau de tolérance de Bruxelles pour le monde des affaires. (…) On ne joue pas à armes égales… D’autant que tout se résume à la capacité humaine et aux ressources financières. Ceux qui sont bien représentés sont ceux qui ont assez d’argent pour prendre le train ou l’avion et rémunérer des lobbyistes à arpenter les institutions européennes. »
Claire Nouvian, fondatrice de l'association Bloom

« Nous sommes face à un problème structurel : les citoyens sont trop faibles face à la puissance du pouvoir économique. À Bruxelles, 90 % des lobbyistes représentent l’industrie et 10 % seulement l’intérêt général, par le biais des organisations environnementales et citoyennes. »
Mathieu Colléter, scientifique et lobbyiste pour Bloom (5)

- Auprès du gouvernement, là où, dans les faits, les lois sont préparées et rédigées. Les portes d’entrées sont nombreuses : les ministres et leurs conseillers, les agents publics de l’administration, voire même parfois directement le Président de la République et ses conseillers. Charge aux lobbys de comprendre les jeux de pouvoir et d’agir auprès du petit cercle qui fait les arbitrages finaux.

- Une fois le projet de loi rédigé, les lobbys peuvent agir auprès des députés, des sénateurs et surtout des groupes parlementaires majoritaires pour faire passer des amendements, qui modifieront parfois considérablement le projet de loi initialement rédigé. Il n’est pas rare que les lobbys rédigent eux-mêmes des amendements « clés en main », faciles à reprendre tels quels par les parlementaires.

- Si la loi a été votée, il est encore possible de retarder ou d’influencer les décrets d’application, ces textes promulgués par le gouvernement qui viennent préciser le calendrier et la manière dont la loi va s’appliquer et changer les choses concrètement.


Les méthodes d'influence indirectes et cachées

Au delà des millions d’euros dépensés par les grands groupes dans le lobbying « classique » qui consiste à défendre une position auprès d’un décideur, certaines multinationales vont plus loin encore et usent de méthodes d’influence indirectes et cachées. Ainsi, ces campagnes d’influence peuvent consister à :

- Organiser ou financer des événements (salons, séminaires, conférences, colloques) pour y défendre une position, et où sont invités les décideurs publics directement concernés.

- Lancer ou financer des campagnes de communication auprès du grand public pour diffuser certaines idées dans la société. Par exemple, la Fédération Nationale des Chasseurs a lancé une grande campagne de communication pour déclarer les chasseurs « premiers écologistes de France »...(6)

- Financer ou commander des études et des contre-études controversées pour "semer le doute" dans l’esprit du public et donner l’illusion de controverses scientifiques, souvent factices. L’industrie du tabac en a été la grande championne par exemple(7).

- Discréditer des personnes, notamment des lanceurs d’alertes, des responsables d’ONG ou des personnalités influentes qui prennent position contre les intérêts de l’entreprise.

- Acheter des médias. Aujourd’hui de nombreux médias “de masse” appartiennent à des industriels, comme le montre très bien cette carte du Monde Diplomatique(7). L’influence des médias sur les opinions politiques des individus confèrent une puissante arme de dissuasion. Si certains élus s’attaquent à eux ou à leurs intérêts, ils risquent des représailles importantes dans ces médias. Lorsqu’on connaît l’importance que les élus attachent à leur image dans les médias, on comprend vite le chantage, même implicite, qui peut se jouer.

Enfin, il existe une forme encore plus efficace et indicible pour faire passer des idées auprès de décideurs publics : faire embaucher, auprès de ces décideurs, des conseillers ou des experts acquis à la cause qu’on souhaite défendre. Dans les cabinets des ministres, dans l’administration, les conseillers ont un poids très important. Les groupes de pression y "placent leurs hommes" pour avoir une influence au plus près du pouvoir. Certains groupes d’influence sont tellement puissants qu’ils réussissent même à contribuer activement à la nomination d’un ministre ou au blocage d’un autre.

Soigner la transparence dans les activités de lobbying

L’accumulation de ces pratiques de lobbying remettent en cause les fondements mêmes de la démocratie. Un système dans lequel le pouvoir est entre les mains des plus riches - ceux qui ont les moyens de faire du lobbying, d’influencer le pouvoir et de nommer les ministres - ça ne s’appelle plus une démocratie mais une “ploutocratie” (le pouvoir des plus riches). Un système dans lequel une caste de personnes qui a globalement une culture commune, des formations communes et des idées communes, se nomme et s’élit les uns les autres aux différents postes de pouvoir dans le public et dans le privé s’appelle une “oligarchie” (le pouvoir de quelques-uns).

Pour éviter que la démocratie ne sombre dans de tels travers, il est essentiel d’apporter de la transparence, de contrôler et d’équilibrer le fonctionnement des lobbys et leurs influences sur la décision publique.


Dans l'activité suivante, retrouvez la webconférence que nous avons organisé le 21 avril 2022, avec Cyril Dion, Armel Le Coz, Frédéric Tellier (réalisateur du film Goliath), et Emmanuelle Garault (lobbyiste).


Sources


1. La transparence d'État, le pilier délaissé de la civictech française ?, de David Reydellet pour Démocratie Ouverte, Medium.com, 2018.
2. 10 millions à Paris, 27 millions à Bruxelles, 22 millions à Washington : c’est ce que le CAC40 déclare avoir dépensé en lobbying en 2017, de Olivier Petitjean, Observatoire des multinationales, 2018.
3. Qu’apprend-on dans le tout nouveau registre du lobbying en France ?, de Olivier Petitjean, Observatoire des multinationales, 2018.
4. Transparence : où vont les millions d’euros dépensés par les lobbys pour influencer le pouvoir ?, de Maxime Ferrer et Thibaut Faussabry, Le Monde, 2018.
5. Extraits tirés du livre Animal, de Cyril Dion, éditions Actes Sud / Colibris, 2021. © Actes Sud, 2021.
6. Les chasseurs, « premiers écologistes de France » ? Histoire d’une communication politique, de Simon Auffret, Le Monde, 2018.
7. Pratiques d’influence de l’industrie du tabac, Unisanté.ch.
8. Médias français, qui possède quoi, Le Monde Diplomatique, 2021.

Ressources complémentaires



Commentaires

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le 31.03.2022 à 13:04:37
Je ne suis pas d'accord avec les lignes 2-4 de ce texte qui présentent le lobbying comme "inévitable", "logique", "normal". Sans doute dans le paradigme ancien où chacun doit défendre ses intérêts particuliers (le plus fort sera gagnant, le plus faible perdant). Ceci n'aurait plus lieu d'être si la démocratie recherchait réellement l'intérêt GENERAL (stratégie gagnant-gagnant). Décidément... sortir des habitudes de pensée s'avère difficile...
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le 06.04.2022 à 22:13:09
La démocratie recherche effectivement l'intérêt général, mais c'est chaque acteur qui présente et défend ses intérêts - charge aux institutions, aussi diverses soient elles (Etat ou Assemblées, Conventions de citoyens etc...) d'aboutir à la meilleure solution possible.

Attention, quand on pense aux lobbys, on pense souvent aux lobbys privés qui n'auraient que des intérêts financiers et propres (lobby du pétrole, de l'automobile, de la finance...) - mais les ONG, sont aussi des lobbys ! Certes elles pronent plus de l'entraide et un intérêt général, mais elles rentrent dans la définition du lobby - elles entrent en contact avec les personnes chargées d'élaborer les lois pour influencer les décisions...
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le 06.04.2022 à 22:14:33
Le problème comme c'est bien dit par la suite, et le fossé qui existe sur la force de frappe des lobbys, car cela passe notamment par leur financement.

Une grande entreprise a nettement plus de moyens qu'une ONG, aussi grosse soit-elle...
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le 01.04.2022 à 21:26:30
Manque t-il une video de Armel Le Coz ? Elle n'apparait pas dans mon navigateur ?
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le 02.04.2022 à 13:19:01
Bonjour Olivier,
Pas de vidéo dans ce module. Le texte est d'Armel Le Coz.
Bonne journée !
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le 08.04.2022 à 19:30:40
Qui dirige Mc Kinsey France ? Fabius fils ( Fabius , président du conseil constitutionnel qui a accepté toutes les lois liberticides votées pendant que les cerveaux des français étaient sous hypnose suite aux récits OFFICIELS du Covid par les MERDIAS aux ordres de leurs milliardaires de PATRONS . En France , 41 milliardaires fin 2019 , 61 milliardaires fin 2021 .(Pendant ce temps là , les artisans et les gens du spectacles crevaient de faim , les infirmières étaient payées avec des applaudissements , puis ensuite virées sans indemnités , ni chômage et interdiction d'exercer leur métier nulle part si pas piquées
Qui dirige Mc Kinsey Europe ? le fils d 'Ursula Van Der Leyen . Je suis prêt à parier que les principaux actionnaires de Mac Kinsey ( 30 000 employes ) sont les mêmes que dans les grands labos pharmaceutiques .
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le 08.04.2022 à 19:51:43
A Bruxelles , 7 fois plus de lobbyistes que d'employés à la commission européenne .Lire ' J'ai tiré sur le fil du mensonge ... ' de Philippe De Villiers qui explique comment ont été choisi les premiers dirigeants de l'EUROPE . Ce sont les américains qui ont modelé l'Europe afin qu'elle soit un très grand marché le + ouvert possible pour écouler tous les surplus de leur économie .Pendant qu'il en est encore temps , 4 candidats à l'élection présidentielles sont pour la remise en vigueur des mesures liberticides ( Pass vaccinal ) Hidalgo , Pécresse , Macron et Jadot . Alors choisissez intelligemment si vous ne voulez pas que vos enfants vivent dans une société à la chinoise ( surveillance permanente des 1,4 miliard de chinois , crédit social , QR code sur ton téléphone pour tous même les clochards )
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le 08.04.2022 à 20:21:38
Savez vous que la semaine du gout qui a lieu dans les écoles est financée par le lobby du sucre . Qui travaille pour le lobby du sucre ? Ceux qui pendant plusieurs dizaines d'années défendaient l'industrie du tabac. Si vous voulez maigrir , réduisez le sucre ( en regardant le % de sucre dans tous les aliments que vous achetez . Contrairement à ce que l'on nous raconte , c'est le sucre qui fait grossir beaucoup + que le gras ( dont il ne faut pas abuser exagérément , cuisiner à l'huile d'olive et à froid à l'huile de colza ) J'ai perdu 10 kg uniquement en diminuant le + possible le sucre .( Lire le livre de Gabriel Peerlmutter ' Le sucre , cet ami qui vous veut du mal' . C'est un neurologue et diététicien américain ( A la première page , il écrit ' offrez ce livre à votre médecin ' J'étais toute ma vie à un indice de masse corporelle de 29 ou 30 et à 70 ans je suis au poids de mes 20 ans .
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le 12.04.2022 à 10:18:44
Oui,, lorsque mes enfants étaient en primaire, je me suis limite bagarré avec des parents d'élèves qui ne comprenaient pas que je m'insurge parce que Pasquier était venu offrir ses brioches de M... aux enfants.
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le 12.04.2022 à 10:16:01
C'est pour ça que le terme démocratie ne veut plus rien dire aujourd'hui. Ce n'est pas le peuple ou l'intérêt général qui est représenté. Ce sont bien les intérêts financiers.
Nos classes politiques sont aujourd'hui de très bons communicants et nombre de personnes se laissent bercer d'illusions. On a eu droit au concept de "la France d'en bas" avec Raffarin, et hop, la majorité des français a plongé, persuadée que l'on s'occupait enfin d'eux. On a eu droit à "travailler plus pour gagner plus"..., et rebelote. Et là, on a même été gratifié d'un "casse toi pauvre con"... Mais les gens oublient vite.
Et à la dernière élection, on a réussit à faire croire à certains que Macron était de centre gauche. Et les gens gobent toutes ses conneries (pardon pour le vocabulaire). Mais vu que depuis notre plus jeune âge, on nous lave le cerveau avec ce système scolaire qui nous prépare à accepter, voir à plébisciter ce genre de chose, et vu la façon dont on nous infantilise ( à juste titre peut-être) ce n'est pas près de changer.
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le 19.04.2022 à 00:07:52
Goliath est un super film qui parle de ça !
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le 22.04.2022 à 22:19:03
Pour le scénario de son film, F Tellier a indiqué avoir lu les trois livres suivants qui abordent la problématique des pesticides et des produits chimiques ainsi que la fabrique du doute par les industriels et leurs lobbies:
- "La fabrique du mensonge" S. Foucart
- "Empoisonnement universel" F Nicolino
- "Intoxication" de S Horel.
Ce sont 3 ouvrages importants, j'ajouterai aussi:
- "Les courtiers du capitalisme" de S Laurens plus centré sur la structuration du lobbyisme, approche qui permet d'aller un peu plus loin que la vision réductrice exposée ici,
-"Lobbytomie" de S Horel dans le prolongement du livre mentionné ci dessus ou comment le véritable lobby s'exerce très en amont dans la définition des protocoles et des définitions par cofinanceant de la recherche, invibilisation etc...
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le 21.04.2022 à 12:10:33
La dernière COP était également une illustration parlante car complètement trustée par les lobbies des énergies fossiles.
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le 02.05.2022 à 22:53:42
Plus concrètement, je suis pour la pure et simple suppression de "tous les lobbyes", mêmes les bons... car les "bons" des uns sont les mauvais des "autres" et nous avons à gouverner "ensemble" ! A faire "peuple". Je suis certainement trop caricatural, mais j'ai l'impression que le système des lobbyes favorise plus au sein de la société la logique du rapport de force que la logique du consensus, du décider ensemble, du "gouverner ensemble". En tous cas, il est certain que la présence de grands groupes financiers dans les lobbies et ce même auprès de certaines ONG est problématique. L'argent ne devrait pas y citer. En plus, cela empêche dans les prises de décisions de rechercher la plus large concertation. Même des ONG bienveillantes ne peuvent décider pour le peuple dans sa souveraineté. Conseiller oui, influencer et essayer de dominer les processus de décision. Certainement pas. Car alors, on fait oui une croix sur le décider "ensemble " et le gouverner "ensemble"
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le 04.05.2022 à 19:52:49
Le Lobbying devrait être sévèrement encadré par la loi:
- les rencontres des lobbyistes avec tout politicien ou groupe de politiciens devraient être officielles et publiques.
- les personnes ayant travaillé pour des groupes privés dans un secteur donné ne seraient plus autorisées à occuper une fonction publique dans ce secteur afin d´éviter les conflits d´intérêt.
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le 22.05.2022 à 21:50:27
Tant que l'intérêt financier passera avant l'intérêt collectif cela ne pourra fonctionner de manière démocratique.
L'argent pourrit tout y compris dans le domaine de la santé et cela s'est vu durant cette crise
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le 08.06.2022 à 18:20:52
"La transparence, premier pilier d’une démocratie ouverte, est souvent oubliée, parfois même par les acteurs de l’innovation démocratique eux-mêmes." J'adore cette phrase qui malheureusement correspond à certaines associations.