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6. Civic-tech : opportunité et risque

Jean Massiet, fondateur d'Accropolis, nous explique ce que sont les civic-techs.

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Pour permettre l'accès à des quantités de données toujours plus importantes à des millions de citoyens, pour permettre à chacun de s'exprimer ensemble sur les décisions qui les concernent, de manière transparente et équitable, le numérique semble être une solution prometteuse. Cette ouverture de la démocratie au numérique a un nom : la civic tech. Elle permet théoriquement à des millions de citoyens et leurs représentants de discuter ensemble, à l'échelle d'une ville, d'une région, ou même d'une nation.

Serait-ce, dès lors, si ces dispositifs se déploient, le début de la fin pour nos élus ? Certains le pensent. Ils appellent de leurs vœux une démocratie directe dans laquelle citoyennes et citoyens décideraient collectivement de tout, tout le temps. D’autres, plus nombreux, militent pour un recours ponctuel à la démocratie directe comme cela existe en Suisse, avec le référendum d’initiative citoyenne. Finalement, l’essentiel de la civic tech cherche plutôt en réalité à recréer le lien entre les élus et les citoyens, via le numérique.

Si les civic techs ne cherchent pas à remplacer les élus, elles se trouvent bien en concurrence directe avec les corps intermédiaires. Comme nous avons pu le voir avec Loïc Blondiaux dans le module 2, il s’agit aussi bien des associations, des organisations syndicales et patronales, des chambres consulaires, des partis politiques et d’une myriade de comités et de commissions consultatives censées assurer le lien entre le haut et le bas de la pyramide.

Mais, là encore, ce qui pourrait apparaître comme une remise en cause n’est que la résultante de l’évolution de notre société sur deux aspects principaux :
  • La mise en place des corps intermédiaires s’inscrit dans une période de notre histoire dans laquelle les moyens de communication étaient très limités. La représentation de chacun imposait un maillage territorial dense avec de nombreuses strates qui ne sont tout simplement plus indispensables. Aujourd’hui un citoyen en zone rurale peut théoriquement échanger avec un ministre sur Twitter.
  • Ensuite, alors qu’il y avait moins de 10% de bacheliers par tranche d’âge lors de l’entrée en vigueur de la constitution de la Ve République en 1958, nous comptons désormais plus de 85% de bacheliers.

La civic tech est née de la conviction qu’il était possible de changer le monde sur la base de ces deux séismes, le numérique et l'éducation. Pour ce faire, elle a imaginé des applications numériques fondées sur l’intelligence collective.

Dans les années à venir, il y a fort à parier que les corps intermédiaires se verront de plus
en plus contestés dans leur légitimité par ceux qu’ils sont censés représenter, et par le politique lui-même. En 2014, Arnaud Montebourg, alors ministre de l’économie avait d’ailleurs envisagé une réforme profonde des chambres de commerce et d’industrie suite à un rapport de l'Inspection générale des finances, qui recommandait une coupe sévère dans leur budget d’environ 30%. Il proposait de passer de 145 chambres en France à une par région dès 2017. Si les CCI sont parvenues à éviter le tour de vis, le fait que 90% des chefs d’entreprises ne se déplacent pas pour élire les membres des CCI est de nature à questionner leur capacité à répondre au besoin des entreprises. Il en va de même pour les syndicats de salariés dont le nombre d’adhérents ne cesse de baisser.

En conséquence, on pourrait donc se réjouir de la promesse que porte en lui le numérique de faire participer un nombre plus important et plus diversifié de citoyens à la vie de la cité, d’autant plus que cette participation se fait à un coût marginal comparativement à ce que coûte le fonctionnement des corps intermédiaires à la nation, donc aux citoyens.

Si la promesse est séduisante sur le papier, ces civic techs sont encore fragiles, imparfaites, et doivent encore faire la preuve de leur efficacité. La tentation de civic washing est forte de la part des politiques, qui ne joue souvent la participation citoyenne que pour apaiser l'opinion (voir la Convention citoyenne pour le climat), voire pour éteindre les conflits sociaux (voir le Grand Débat). Grèves et manifestations ont de beaux jours devant elles, pour permettre aux citoyens et aux citoyennes de se faire entendre des élu·es.

Les acteurs de la civic tech, de leur côté, doivent aussi évoluer, pour répondre aux exigences des citoyen·nes de transparence et d'indépendance.

En conclusion, comme beaucoup de domaines de notre vie (commerce, santé, éducation, culture...) la démocratie est à son tour en train d’amorcer une mue sous l’effet du numérique. La vigilance des citoyen·nes doit être de mise, pour que toutes les parties prenantes (politiques, corps intermédiaires, acteurs de la civic tech) soient au service de l'intérêt général et de la participation du plus grand nombre !


Et vous ? Avez-vous déjà utilisé des plateformes numériques de participation citoyennes ? N'hésitez pas à partager vos retours dans les commentaires !

Commentaires

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le 07.04.2022 à 12:39:00
Depuis 2 ans nous sommes mal menés. Distanciation, mise à l'écart de nos anciens qui certains sont morts de solitude et de chagrin, le bâillonnement des êtres...et j'en passe. L'humain est un être de contact, de lien, c'est la socialisation...pour ma part je crains que le civic-tech, éloigne les citoyens les uns des autres. Les rencontres, les débats et autres sont autant de lieux de partages, d'échanges et de rencontres.
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le 04.05.2022 à 14:03:40
Je me reconnais beaucoup plus dans cette approche que dans la vision qui me semble un peu simpliste et binaire de Jean Massiet
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le 14.04.2022 à 19:53:58
Bonjour, j'ai essayé de participer au grand débat qui me semblait une bonne initiative. Je n'y ai trouvé que des questions auxquelles il m'était extrêmement difficile de répondre sans informations contradictoires préalables. Je crois qu'il est nécessaire pour moi de revenir à des structures de bases plus petites en presentiel qui permettrait de s'informer, de débattre et de s'éclairer les uns les autres. Des sortes de conventions citoyennes locales qui s'exprimeraient à égalité avec toutes les autres pour une concertation très large. Redonner à chaque citoyen sa dimension spécifique et unique.
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le 16.04.2022 à 00:44:48
je crains que ces outils numériques nous éloignent de nos représentants plus qu'ils ne nous en rapprochent
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le 22.04.2022 à 03:28:22
Je n'ai pas encore beaucoup utilisé mais je sais que des choses existes : make.org, purpoz par ex.
Je trouve ça bien mais il ne faut pas oublier que le numérique émets beaucoup de GES et que les avancées sociales ou autres ne doivent pas se faire au détriment de l'écologie.

Je ne vois pas comment ces outils peuvent nous éloigner plus de nos représentants qu'actuellement.
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le 01.05.2022 à 18:28:33
En France, les civic tech sont pluriels contribuant plutôt à une archipellisation, concomitamment à une réflexion roborative qui réifient les idées et les propositions politiques, au lieu d'une structuration citoyenne effectuale qui instituerait un "mouvement de propositions coconstruites" (prise de décision par consentement) horizontal et bottom-up (et non top down comme chez les populistes) .
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le 04.05.2022 à 14:05:44
Si vous voulez être compris du plus grand nombre, utilisez un vocabulaire plus simple. Pour ma part, je n'ai pas bien compris votre propos et pourtant, je ne me sens pas analphabète.
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le 01.05.2022 à 18:29:27
Comment relever les défis à la fois immédiats et à plus long terme ? Comment améliorer l'engagement et la confiance des citoyens ? En déployant des « civic tech » à la mode Taiwan, qui s’est établi suite au « Mouvement Tournesol des Étudiants » (2014) pour retisser un lien de confiance entre : d'une part, « société / citoyens » ; et d'autre part, les « instances exécutives des territoires / pouvoirs publics ».
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le 01.05.2022 à 19:52:41
Le "VTaiwan", le "gouvernement zéro" (gØv), communauté collaborative ouverte que « personne ne peut représenter » vise à « contribuer à l’amélioration de la société civile taïwanaise grâce aux technologies et à la collaboration ». L’Open Data taiwanais ne s’inscrit pas seulement dans des perspectives de business, mais d’encapacitation des citoyens. La civic tech taiwanaise contribue ainsi à une démocratie délibérative, une participation civique ascendante.
« Nous nous assurons que [les citoyens] ne comprennent pas seulement la décision politique, mais aussi les raisons qui y ont mené et la manière dont elle a été abordée, ce qui nous permet, lorsqu’une innovation émerge de la société civile, d’être en mesure de l’adopter et de l’amplifier, au lieu d’imposer des décisions par le haut », confie la ministre taïwannaise Audrey Tang.
Cette approche du politique est-elle compatible avec le vote majoritaire qui repose sur des écuries présidentielles ? Le "jugement majoritaire" ne serait-il pas plus approprié ?
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le 04.05.2022 à 14:14:15
J'utilise moi-même de nombreux outils numériques, incluant des outils collaboratifs. Et en tant que salariée en télétravail (à 90% de mon temps de travail), je connais et bénéficie de certains avantages importants du numériques. En même temps, je suis bien placée pour en vivre aussi les limites. Et je suis tout à fait convaincue, c'est une opinion forgée sur mon expérience, que le relationnel est d'abord une activité en présence et ce, même si les libristes coconstruisent des choses formidables ensemble.
La confiance se nourrit avant tout de relations en présence parce qu'il n'y a pas que notre mental qui produit nos relations, faire fi de nos autres sens et de ce qu'ils produisent dans les relations est de mon point de vue une énorme illusion.
La civic tech est un outil supplémentaire intéressant mais qui ne pourra se développer s'il se positionne en concurrence avec les corps intermédiaires. Ces derniers doivent faire évoluer leur gouvernance et faire plus de démocratie en interne et avec leur parties prenantes pour retrouver plus de reconnaissance vis-à-vis des citoyens lambdas, mais ils sont utils et nécessaires à la démocratie à l'échelle d'une ville, d'une région et d'un état.
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le 01.02.2023 à 20:24:51
Civic Tech comme Purpoz par exemple ! 500€, 1000€ ou 2000€ pour soumettre une pétition, ou idée de réflexion ! Super la Civic Tech