Table des matières

5. Une autre manière de gérer et préserver les ressources : les communs

Les communs : une notion méconnue ?

Définition

Si on veut donner une définition à un « commun », ce serait autour d’un triptyque : une ressource dont l’usage est partagé, une communauté qui se rassemble autour de cette ressource, et des règles de gouvernance au sein de cette communauté.

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Une forêt peut être un bon exemple pour comprendre cette notion. Dans son documentaire Le temps des forêts (1), François-Xavier Drouet montre les limites d’une gestion basée sur la seule propriété. La forêt française aujourd’hui n’est plus exploitée que pour son rendement en bois, et cela génère un ensemble d’effets pervers : elle ne peut plus rendre les services écosystémiques qu’elle rendait auparavant, et peut éventuellement finir par disparaître.

La bonne nouvelle, c’est que l’on peut envisager des systèmes qui prennent en compte les besoins humains, les besoins des autres êtres vivants – sans qui la vie humaine n’est pas possible –, ainsi que la pérennité du système dans le temps. Comme le dit une des personnes interviewées : "J’aime cette idée que la forêt ne sert pas uniquement à la production du bois. La production de bois paie la gestion de la forêt mais on a en bénéfice collatéral tout un tas de choses pour lesquelles on n’est pas payés mais qui sont essentielles". L’intérêt de l’approche des communs se trouve aussi dans ce "tout un tas de choses essentielles", que la soi-disant "rationalité" économique ignore, mais qui, nous le redécouvrons aujourd’hui, sont essentielles à la vie.

Le concept de « communs » est pourtant encore assez mal connu du grand public. Ce mode de gestion et d'organisation, troisième voie entre gestion étatique et gestion privée, nous semble pourtant pertinent à plusieurs titres : résilience face aux crises économiques et écologiques, facteur de lien, d’entraide, et de justice sociale au sein d’une communauté. Dans une société fragmentée par l’individualisme, par les discours de haine, par les confinements et autre distanciation sociale, la gestion par les communs est une autre manière de faire démocratie au service de l'intérêt général, de la préservation du vivant et des écosystèmes.

Perspectives historiques

L’histoire récente des communs peut être synthétisée autour de quatre temps forts.

Tout d’abord, la propriété privée prend une importance de premier plan après la Révolution française. Il s’agit d’ailleurs d’un des éléments de rupture avec le système féodal : la propriété privée était, sous l’Ancien Régime, un privilège réservé à certaines personnes en fonction de leur naissance. Elle connaît un immense essor au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, comme "l’expression matérielle de la liberté individuelle" (2). On peut y voir en effet la naissance de notre libéralisme actuel. En France, l’article 544 du Code civil définit la propriété privée comme "le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois". Ce "droit à la propriété" avait été exalté dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dans son article final : "les propriétés étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité".  Ainsi la notion de propriété serait l’expression et l’outil d’un nouvel ordre social marqué par la volonté de rompre avec ce qui était auparavant la norme.

Un détour par l’histoire de l’Angleterre est essentiel. Avant la révolution industrielle, on estime que 30 % à 35 % des terres étaient gérées comme des communs en Angleterre. Cela supposait pour ces terres des droits d’accès et de prélèvement divers pour les habitants à proximité. Cela permettait à tous de mener une existence digne, en complétant leurs moyens de subsistance à travers le glanage, le ramassage de bois de chauffe, de baies ou autres végétaux à même de compléter son alimentation. Cette organisation fut remise en question, surtout entre le XVe et le XVIIIe siècle, avec le développement en Angleterre de la production et du commerce de la laine. Les propriétaires fonciers cherchèrent à agrandir les surfaces de pâturages nécessaires à l’élevage des moutons. Les terrains communaux furent clôturés, tandis que la société paysanne tombait dans la précarité. (3)
 
Dans un article intitulé "La tragédie des communs" paru dans la revue Science en 1968 (4), Garrett Hardin, écologue américain, veut démontrer que l’humanité est incapable de gérer un bien comme un commun. Prenant l’exemple d’un pâturage laissé en libre accès, il affirme que des bergers cherchant à maximiser leur bénéfice suivent toujours leur intérêt – qui est d’amener paître davantage de moutons sur le champ. Au final, l’exploitation en commun de la ressource ne peut selon lui conduire qu’à sa destruction. Et l’auteur de conclure que seule l’appropriation, qu’elle soit le fait du marché (propriété privée) ou de l’État (propriété publique), peut garantir à long terme la préservation des ressources. Si cet article a acquis une certaine popularité à l’époque, il faut le replacer dans son contexte : en période de guerre froide, il s’agissait d’une contribution bienvenue à l’arsenal idéologique pour lutter contre le communisme…
 
En réponse à Hardin, Elinor Ostrom, économiste et politologue américaine, reprend à la base la question de la gestion des biens communs avec des observations empiriques. Ses études de terrain, menées sur plusieurs continents, lui permettent de constater que des communautés humaines sont capables de gérer des ressources communes telles que des pêcheries, des systèmes d’irrigation, des nappes phréatiques, des forêts ou des pâturages, de façon plus efficace pour l’exploitation comme pour la préservation à long terme de la ressource. L’importance de son travail est reconnue en 2009 lorsqu’elle reçoit le prix Nobel d’économie – une première pour une femme.
Laurent Marseault, colibri de longue date, pompier volontaire (c’est peut-être lié) et qui se définit lui même comme un secoueur de cocotiers, nous apporte sa vision des communs et de la démocratie.


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Et la connaissance, un commun ?

On peut aussi considérer la connaissance comme un bien public. Pourtant, James Boyle, juriste américain, compare l’extension continue des droits de propriété intellectuelle à un « second mouvement d’enclosure », menaçant l’accès à la connaissance conçue comme un bien commun (5).
Dans la suite de ses travaux, Elinor Ostrom s’intéresse à son tour aux communs de la connaissance. L’ouvrage collectif qu’elle codirige avec sa collègue Charlotte Hess, qui paraît en 2007, propose d’ailleurs une définition des communs plus englobante : « les communs sont des ressources partagées par un groupe de personnes et qui sont vulnérables aux dégradations et aux enclosures ». Dans cette nouvelle approche, les communs ne recouvrent plus une simple catégorie de biens, comme les biens naturels, mais des agencements de rapports sociaux qui contribuent à leur production ou leur maintien, des systèmes de règles sociales et de gouvernance pour des actions collectives.

Le Libre en Commun ?

Qu’est-ce que les logiciels libres ont en commun avec… les Communs ? En effet, le logiciel libre, et plus largement les projets libres tels que Wikipedia, est bien une ressource immatérielle, mais est-il un commun pour autant ? Et surtout qu'en est-il de sa gestion, de la communauté qui le maintient et l'utilise, des règles que cette communauté a élaborées pour le développer et le partager ?
Autant de questions clés que Makina Corpus, entreprise toulousaine de développeurs et d'experts des logiciels libres, nous proposent d’explorer grâce à cet article, Le logiciel libre est-il un commun ?

Pour clore cette séquence, vous reprendrez bien un peu de Laurent Marseault ? À travers l'exemple d'une mairie – un bien public privatisé... par les élus ?! – il nous invite à repenser nos institutions comme des communs, dans d'autres formes de démocratie, moins excluantes.


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Si notre propos n’est pas de dire que les communs doivent devenir le mode d’organisation dominant, de nombreux exemples montrent leur capacité à ouvrir des possibles là où les approches traditionnelles, d’une part la gestion étatique centralisé, de l’autre une gestion privée basé uniquement sur la propriété et la concurrence, échouent, en particulier dans un contexte de crises économiques récurrentes et de tension sur les ressources.

Quels sont nos communs ?

À vous ! Voyez-vous d’autres exemples de biens communs qui devraient être gérés comme des communs, c'est-à-dire les ressources partagées, gérées collectivement par ses usagers ? Nos terres ? Notre production alimentaire ? La sécurité sociale ? La voûte étoilée ?

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Notes


(1) Le temps des forêts, de François-Xavier Drouet, KMBO, 2018.
(2) Les communs contre la propriété privée ?, France Culture, septembre 2018.
(3) L'histoire méconnue des communs, par Anne Lechêne, Colibris le Mag, juillet 2017.
(4) La tragédie des communs, de Garrett Hardin, traduction française chez Puf, 2018.
(5) The Public Domain : Enclosing The Commons Of The Mind, de James Boyle, Yale University Press, 2003 (en anglais).

Ressources complémentaires



Commentaires

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le 07.04.2022 à 15:06:01
La terre (cultivée) est à l'image de la forêt. Son exploitation de surface permet un rendement à son "exploitant". Quid du sous-sol ? Des intrants chimiques qui polluent l'eau, la terre, l'air (par les traitements aériens) ? Toutes les eaux se mèlent, les pollutions aussi. La dégradation des sols me semble être une dégradation du bien commun. L'air, l'eau, la terre sont des biens essentiels à nos vies. Leur dégradation impacte toute vie. Oui, les citoyens sont vitalement concernés par la gestion de ces bases communes.
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le 08.04.2022 à 15:27:44
Je suis d'accord avec le commentaire de michellepuymartin à propos de la terre, l'eau et l'air. J'ajouterais le respect dû à la biodiversité animale et végétale, et même des biens plus immatériels comme la beauté d'un paysage. La liberté consiste à pouvoir agir sans nuire à autrui, n'est-ce pas ? Dans ce cas, je propose une surveillance collective, sérieuse et réellement indépendante, de toutes les conséquences des activités humaines (constructions, cultures, industries, transports...). Actuellement, les intérêts privés à court terme l'emportent (hélas, très largement ! ) sur l'intérêt général. Nous allons en mourir.
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le 09.04.2022 à 19:27:38
François Robin
La voûte étoilée, un bien commun, peut-être pas mais la luminosité des villes et villages, pourquoi pas ?
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le 11.04.2022 à 13:46:46
Je suis un peu perdue dans avec ce type de gouvernance super intéressant. Il me semble que de nombreuses choses gérées par le privé ou par l’État peuvent devenir des communs. Mais y sommes nous prêts ? Nous avons pris l'habitude de consommer, d'avoir accès et utiliser sans réfléchir. D'où ma question : comment pouvons-nous accompagner notre société sur de nouveaux modes de fonctionnement comme celui-ci ?
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le 20.04.2022 à 09:47:35
L'école !!! L'apprentissage de la paix, un bien commun, vu comme un commun, ou enfants, parents, équipe éducative, associations, entreprises locales, mairie, qui construiraient son usage, avec une gouvernance horizontale. Vers une communauté éducative inclusive, démocratique et participative.
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le 21.04.2022 à 21:07:45
ça serait chouette !
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le 22.04.2022 à 03:17:33
Les parcs régionaux et nationaux ?
Les pôles terrestres ? Surtout alors qu'ils laissent des passages navigables avec leur fonte :(
Les océans et autre grand plan d'eau (horizontalement et verticalement parlant).
La partie la plus proche de la Terre de l'espace ça serait bien pour éviter qu'on continue à envoyer des déchets dedans ou soi-disant de l'art...
Je confonds peut être car pour certains lieux il n'y a pas beaucoup d'"usagers" mais avant qu'il y en ait trop justement ça serait peut être bien.
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le 22.04.2022 à 20:05:18
Les routes, les chemins ..... aujourd'hui, nous subissons le flux de plus en plus important des véhicules à moteur (villes ou milieu rural) porteurs de pollution atmosphérique, de nuisances sonores, d'insécurité ; voilà un bien commun difficile à partager et à gérer en commun pour un mieux être !
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le 02.05.2022 à 17:17:03
tous les espaces partagés avec d'autres vivants (animaux végétaux), les ressources vitales (l'air l'eau potable, l'alimentation). et l'idée de gérer l'éducation de nos enfants comme cela me séduit!!!!
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le 04.05.2022 à 13:55:15
Bien sûr l'école, l'éducation de nos enfants à la vie collective et le développement de l'humanité de chacun.e tout au long de la vie sont des biens communs souvent mal connus
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le 04.05.2022 à 13:58:34
Dans certaines de nos organisations, à travers l'émergence et la gestion d'initiatives solidaires, des savoir faire et des savoir être au faire ensemble, à la coopération, à la citoyenneté sont créés, entretenus et parfois transmis.
Il en est de même de l'apprentissage de la paix qui est un savoir faire bien partagé au sein de certains peuples et est presqu'absent ou accidentel dans d'autres. Comment les prendre en compte, les repérer, en prendre soin pour mieux les diffuser ?