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2. Désobéir à un Pouvoir injuste, un devoir

par Nathalie Achard, médiatrice et facilitatrice de convergences au service du dialogue et de la résolution des conflits

Quand les négociations échouent, quand le dialogue est rompu, quand les décisions prises par les acteurs publics ou privés mettent en danger la santé, la sécurité, la liberté de chacune et chacun, désobéir devient un devoir citoyen.

La désobéissance civile, qu’est-ce que c’est ?


La désobéissance civile met en lumière la violence des institutions abusives. C’est une forme de résistance passive par laquelle des civils non armés utilisent des techniques comme les manifestations ou le boycott (ou d’autres formes de non coopération massive) pour obtenir le changement. Ce refus affiché d’obéir à certaines lois permet d’attirer l’attention du public et d’influencer la législation ou la politique gouvernementale.

Les citoyens et citoyennes impliqués dans des actes de désobéissance civile sont des hommes et des femmes « comme les autres ». Personnes âgées, handicapées, enfants… La résistance civile non violente permet à tout le monde de participer, quelles que soient ses capacités physiques et son souhait d’implication. Ce que toutes les personnes qui participent ont en commun : l’indignation face à l’injustice ou face aux risques qui pèsent sur leur avenir et leur détermination à assumer les conséquences légales de leurs actes, jusqu’à l’emprisonnement.

Quand et comment ce phénomène a-t-il vu le jour ?


Les principes de la désobéissance civile ont été conceptualisés pour la première fois par Henry David Thoreau (auteur et penseur américain, 1817-1862) dans son essai La Désobéissance Civile (1). Il l’a écrit suite à son refus de payer une taxe gouvernementale qui était collectée pour financer la guerre contre le Mexique. Thoreau était aussi opposé à l’esclavagisme des États du Sud, et indigné par le traitement que subissaient les peuples premiers américains.

Il s’est battu pour les minorités et a écrit à ce titre : « une seule personne qui agit dans le bon sens contre l’ordre établi constitue déjà une majorité en elle-même ». Il a encouragé et soutenu ses contemporains dans leurs engagements et leur actions parce que, selon lui, « une minorité n’a aucun pouvoir aussi longtemps qu’elle est d’accord avec la volonté de la majorité. Dans ce cas, ce n’est même pas une minorité. Mais quand cette minorité se bat avec toute sa puissance, elle devient impossible à arrêter. »

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Désobéissance civile contre des expulsions - Budapest, Hongrie, 2010 (source : Balint.misetics, CC-BY-SA)

Quelles sont les cinq grandes caractéristiques de la désobéissance civile ?


1 - Une infraction consciente et intentionnelle
Il s’agit d’enfreindre une règle de droit positif.

2 - Un acte public
L’objectif est de toucher une large audience, avec le plus de couverture médiatique possible. L’action doit générer un fort impact afin de favoriser les prises de conscience.

3 - Un mouvement à vocation collective
Elle est l'acte d'un groupe qui se présente comme une minorité agissante et l'action concertée de celle-ci en est la traduction.

4 - Une action pacifique
La créativité et la non violence sont les carburants de la désobéissance. Il s’agit d’enclencher un débat public et d’éveiller les consciences. Non pas de blesser des personnes ou de casser du matériel.

5 - Un objectif clair : changer la règle
La désobéissance fait appel à des principes supérieurs à l’acte contesté et vise l’innovation. Le résultat escompté est une révision voire un retrait de la loi en cours ou de la décision prise.

La visibilité des actions de résistance civile permet d’attirer une participation plus active et diverse même de la part de personnes hésitantes dans un premier temps. Et une fois que ces personnes les plus éloignées du groupe de départ s’investissent, il est presque garanti que le mouvement aura des liens avec les forces de sécurité, la bureaucratie civile, les élites économiques et commerciales, les médias d’État, les autorités religieuses…

En Serbie, lorsqu’il est devenu évident que des centaines de milliers de Serbes étaient en route pour Belgrade afin de réclamer la démission de Slobodan Milosevic, des officiers de police ont commencé à désobéir aux ordres de tirer sur les manifestants. L’un d’eux, interrogé sur la raison de ce choix, a expliqué : « je savais que mes enfants seraient dans la foule. »

Gandhi et Martin Luther King, deux exemples emblématiques de la désobéissance civile


Le 11 septembre 1906, Gandhi rassemble 3000 personnes dans le Théâtre Impérial de Johannesburg pour leur faire prêter un serment de désobéissance. Pour cela il est emprisonné pour la première fois en 1907. C’est lors de son second séjour en prison qu’il découvre le travail de Henry David Thoreau. Plus tard, Gandhi développe sa propre conception de la désobéissance à travers le concept de satyagraha (la Voie de la Vérité), afin de s’insurger activement contre l’apartheid en Afrique du Sud et contre la politique colonialiste du Royaume-Uni en Inde.

Le 17 mars 1930 Gandhi lance la Marche pour le Sel, direction Jabalpur, 300 kilomètres de périple. À ce moment-là, l’Empire britannique a le monopole du marché du sel, ce qui lui permet d’empocher chaque année 15 millions de francs-or, une somme colossale destinée à financer les troupes d’occupation coloniale.

Des centaines de personnes arrivent à Jabalpur le 6 avril. Gandhi ramasse du sel et le vend aux enchères pour 425 roupies (une belle somme pour l’époque). Au total 50 000 personnes défient les autorités en récoltant du sel et beaucoup subissent des violences ou sont jetés en prison. Cela n’affaiblit en aucun cas la détermination des désobéissants et quelques semaines après le gouvernement cède son monopole.

"D’abord ils vous ignorent, ensuite ils vous raillent, ensuite ils vous combattent et enfin vous gagnez."
Mohandas Karamchand Gandhi


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Gandhi pendant la Marche du Sel, mars 1930 (source : Wikimedia)

Martin Luther King fut le leader du mouvement pour les droits civiques des noirs (The Civil Right Act) aux États-Unis, et lui aussi a adopté la désobéissance civile pour faire valoir ses revendications. C’est comme ça, entre autres, qu’il soutient le boycott des bus à Montgomery (Alabama) en 1955, qui a commencé lorsque Rosa Parks a refusé de laisser son siège à une personne « blanche ». Il est d’ailleurs arrêté lors de cette campagne. Ce qui n’affaiblit pas la détermination du pasteur et de toutes celles et tous ceux engagés dans ce combat, puisqu’au final la Cour Suprême des États-Unis met hors la loi la ségrégation raciale dans les bus, les restaurants, les écoles et tous les autres lieux publics.

"C’est un devoir moral de désobéir aux lois injustes."
Martin Luther King

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Martin Luther King Jr lors de son arrestation à Birmingham, Alabama, en 1963 (source : Wikimedia)

Et ça fonctionne vraiment ?


Une universitaire américaine, Erica Chenoweth, s’est penchée sur cette question (2). Elle a analysé et étudié les campagnes non violentes dans le monde entre 1900 et 2006 (campagnes visant le renversement d’un gouvernement ou la libération d’un territoire), et ses résultats sont sans appel : ces campagnes ont deux fois plus de chance de réussir que les insurrections armées.

Dans les cinquante dernières années, les campagnes non-violentes sont devenues de plus en plus courantes et efficaces, tandis que les insurrections violentes sont devenues de plus en plus rares et infructueuses. Y compris dans des conditions d’autoritarisme extrêmement brutal.

C’est le pouvoir des peuples qui fait que la résistance civile est plus efficace que la lutte armée. Selon Erica Chenoweth, les campagnes ayant abouti durant cette période [1900-2006] ont obtenu une participation active et durable de seulement 3,5 % de la population. En France, cela équivaudrait à un peu plus de 2 millions de personnes. Et chaque campagne qui a réuni plus que ces 3,5 % de la population était non-violente...

Voici sa conférence à TedXBoulder :



Notes

(1) La Désobéissance Civile, Henry David Thoreau, Éditions Gallmeister, 2017.
(2) Pouvoir de la non-violence, pourquoi la résistance civile est efficace, de Erica Chenoweth et Maria Stephan, Éditions Calmann-Levy, 2021.

Ressources complémentaires



Commentaires

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le 05.05.2022 à 04:00:38
Youhou c'est ouvert !! :)
Vous auriez pu trouver un autre exemple que le policier qui ne tire pas dans la foule car il y a ces enfants dedans... Des actes que désobéissance quand ça nous touche directement il y en a un paquet sans que ça soit forcément pour une cause juste.
D'ailleurs, sans parler de désobéissance, il y a énormément de choses que beaucoup font juste pour eux et/ou leur famille sans penser aux impacts que ça peut avoir sur les autres (ou sur l'environnement), sous prétexte de prendre soin de soi avant tout (coucou les voitures individuelles, coucou les maisons toujours plus grandes, coucou la consommation du tout préparé car c'est plus simple que de faire à manger, etc.).
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le 05.05.2022 à 10:43:32
- Les citoyens et citoyennes impliqués dans des actes de désobéissance civile sont des hommes et des femmes « comme les autres ». Personnes âgées, handicapées, enfants… -
Bof, je peux voir que ce genre d'action demande un état de forme qui ne correspond pas à beaucoup de personnes âgées, de sortes d'handicap et d'enfants. A l'heure des tires tendus de LBD, c'est une culture du martyr que je vois tristement perdurer au profit du pouvoir en place. Le mot militant donne ce sens dont la racine du mot est la même que militaire. Cela donne aussi un sens à ce qu'est une oligarchie, un pouvoir d'une élite plus en forme que la moyenne. Cela donne un sens aussi à l'origine de la politique, comme un moyen d'impliquer celles et ceux qui ne peuvent pas aller exprimer ce qu'ils veulent là où les plus en forme, les plus volontaires et enthousiastes pour prendre le pouvoir le font. Donc, non, désobéir avec des actions médiatiques plutôt qu'en faisant vivre une institution n'est pas incluant. Consommer tel que le propose ci-dessus, Toniof, l'est plus.
Quand les négociations échouent avec nos dirigeants, les négociations peuvent réussir avec d'autres personnes.
Quand le dialogue est rompu avec nos dirigeants, le dialogue peut être restauré avec soi et son entourage.
Quand les décisions prises par les acteurs publics ou privés mettent en danger la santé, parler de notre besoin de santé est plus important, pour comprendre quelle stratégie nous pouvons mettre en place pour arrêter de se frotter aux forces armées bien mieux entraînées et équipées, que des Remy Fraisse, pourtant bien en forme.
Je ne comprends pas comment une médiatrice peut trouver ces stratégies importantes, aussi non-violentes fussent-elles.
Pourquoi ne propose-t-elle pas plutôt des résolutions de conflits entre le Macron et un gilet jaune?
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le 05.05.2022 à 14:46:45
Oui, venir au contact des "Forces de l'Ordre" est dangereux (LBD). Mais ce n'est, en fait, qu'une des formes de résistance non-violente parmi beaucoup d'autres (voir la conclusion de ce module, qui en liste 198...). Ainsi, payer par exemple sous forme de versements fractionnés est à la portée de tous. Le plus difficile dans une action non-violente est d'obtenir l'effet de nombre. On l'obtient relativement facilement dès qu'il y a manif (peut-être est-ce un reste d'envie de combattre physiquement, fût-ce par sa seule présence calme). C'est bien plus difficile de mettre en place une action plus longue et qui se voit moins. Hélas, ce sont peut-être les plus efficaces ! Si, pour un objectif précis, on décidait TOUS de ne plus régler la TVA lors de nos achats par exemple, la perte serait importante pour le gouvernement. Mais mettrait-il des policiers à chaque caisse de magasin ?