Table des matières

4. Pour une démocratie inclusive !

Démocratie : "le pouvoir du peuple", vraiment ?


Nous avons vu dans les modules précédents que les obstacles étaient nombreux, pour faire advenir une vraie démocratie. On a longtemps exclu les esclaves, les pauvres, les femmes, de la vie démocratique – pour les étrangers, c’est toujours le cas. Les institutions évoluent, lentement, difficilement, pour ouvrir le droit de vote, les postes à responsabilité… Avec bien sûr une classe dirigeante peu encline à partager le pouvoir, et un système éducatif qui tend à la reproduction sociale plutôt qu’à l’égalité des chances.

Il est indéniable que les « classes populaires » sont plus éloignées du vote, et plus généralement de la participation au système démocratique, que les catégories socioprofessionnelles supérieures (aux élections de 2012, 11 % des ouvriers inscrits sont abstentionnistes, contre 6 % des professions intermédiaires et 4 % des cadres supérieurs). Mais c’est, d’après Camille Peugny, sociologue, plutôt « l’organisation du travail et la présence de collectifs de salariés [qui apparaissent] déterminantes dans les processus de politisation des classes populaires ». « Pour les salariés cantonnés aux emplois les moins reconnus des services, (…) en plus de leur grande fragilité socio-économique (…), leur isolement professionnel renforce leur invisibilité politique. De ce fait, alors même que le niveau d’éducation des employés et des ouvriers s’est considérablement élevé, les mutations de l’emploi pourraient bien venir contrarier les bénéfices attendus en termes de participation au débat politique. » (1) Les politiques du travail jouent ainsi un rôle important dans l’exclusion des classes populaires du champ politique.

Ce qui se passe du côté du vote se reflète aussi dans nos instances représentatives. À l’Assemblée Nationale en 2012, ils ne sont que 12 députés anciens ouvriers ou employés élus, c’est-à-dire 2,1 % du total, pas beaucoup plus qu’au XIXe siècle, après les pics du Front Populaire et de la Libération (2). Quant aux personnes appartenant aux « minorités visibles », elles ne constituent que 6,18 % de ses membres (3)…

Comment exister politiquement pour les classes populaires ?


La démocratie est le combat de toutes et tous, mais il est plus difficile à mener pour certains et certaines.

Pour la Coordination « Pas sans nous », qui se définit comme « le syndicat des quartiers populaires », un phénomène est à l’œuvre pour maintenir les inégalités : la stigmatisation croissante des habitant.e.s des quartiers populaires et de leurs engagements militants, la disqualification de leurs discours et de leurs engagements. « Tout ceci affaiblit l’énergie et la légitimité à agir (…). Pourtant nous nous refusons à la résignation et nous avons décidé d’agir pour lutter contre cette systématique confiscation de la parole des habitant·es.(…) En nous engageant et en continuant à faire un travail de plaidoyer et de négociation avec les pouvoirs publics, les institutions, les élus, nous assumons nos responsabilités. »

Si nous voulons réussir la transformation de la société, il est essentiel de rassembler toutes ses composantes. C’est un impératif pour nos organisations que de sortir de l’entre-soi, d’établir un dialogue avec les habitant·es des territoires, de partir des besoins fondamentaux de chacun·e d’entre nous – comme le disait Nathalie Achard dans l’activité précédente –, et d’élaborer des solutions satisfaisantes pour les humains, présents et à venir, et les autres vivants.

C’est ce que, à Colibris, nous tenterons de faire avec la campagne Nouvelle (R), dont nous vous parlons dans l’activité suivante.



Une méthode pour accompagner les luttes populaire

Saul Alinsky est un sociologue américain ayant grandi dans un quartier pauvre de Chicago. Lors de sa thèse en criminologie sur les gangs urbains, il fait le constat suivant : la criminalité est causée par une mauvaise condition de vie, un chômage élevé, la présence de discrimination raciale et l’organisation capitaliste de la société. Pour remédier à cela, il imagine la méthode suivante : former des organizers, des spécialistes de l’organisation populaire, qui aideront les populations à s’organiser dans leurs luttes. Alinsky publie en 1971, après trois années d’expérience à Chicago, et en réaction aux luttes étudiantes de la fin des années 1960 et aux manifestations contre la guerre du Vietnam, un ouvrage intitulé Rules for radicals (4), dans lequel il décrit les cinq étapes nécessaires aux organizers pour aboutir à un changement social :

- S’intégrer et observer : il s’agit pour les organizers de s’installer parmi la population pour comprendre ses revendications et trouver des solutions, avec l’aide d’appuis locaux, telles que les communautés ou les églises ;

- Faire émerger collectivement les problèmes : les organizers doivent pouvoir « faire parler » les habitants du quartier afin de leur faire prendre conscience des problèmes qu’ils partagent ;

- Commencer par une victoire facile : montrer à la population qu'elle peut changer les choses, et qu’une première victoire peut en amener d’autres ;

- Organiser et intensifier les luttes : encourager et accompagner la population dans d’autres actions de revendications ;

- Se rendre inutile et partir : les organizers doivent pouvoir transmettre leur « savoir » à la population pour progressivement la laisser indépendante dans ses démarches.

L’une des notions clés de cette méthode est l’intérêt personnel. En effet, il faut pouvoir tout d’abord trouver des solutions à des questions simples comme le logement, le salaire, l’hygiène ou la reconnaissance sociale pour pouvoir creuser par la suite des questions plus globales sur le capitalisme, l'écologie ou la société de consommation.


Notes

(1) « Loin des urnes. L’exclusion politique des classes populaires », Camille Peugny, Métropolitiques, 2017.
(2) « Nous ne sommes pas représentés ! », Patrick Lehingue, cairn.info, 2015.
(3) « Une Assemblée nationale plus représentative ? Mandature 2017-2022 », par Éric Keslassy, Institut Diderot, 2017.
(4) Radicaux, réveillez-vous !, Saul Alinsky, éditions Le passager clandestin, 2017.

Commentaires

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le 13.07.2022 à 16:37:24
Les syndicats de salariés ont souvent joué un remarquable rôle d'émancipation des classes sociales plus modestes. Dans certains pays plus que dans d'autres et à certaines époques plus qu'à d'autres. Que leur est-il arrivé?