Le point de vue d'Isabelle, avocate et compagnon oasis

“Tout part du Nous, le droit est un outil”

Par Isabelle MALLÉZÉ, compagnon oasis, isabelle.malleze@projet-oasis.org

Le « pays du droit », c’est le nom attribué à la France dans sa version chinoise. Et en effet, les lois et le droit sont sur le chemin qui conduit à la construction de votre oasis. Ces voies ne sont pas impénétrables, mais un guide se révèle bien souvent utile, pour clarifier le fond, valider l’adéquation au contenu, et finalement mettre en forme.

L’accompagnement juridique d’un projet d’oasis se décline en autant de façons qu’il y a de collectifs. Mais on retrouve autour de chaque projet de grands thèmes sur lesquels s’arrêter. Les domaines de questionnement les plus fréquents sont :

  • la structure d’acquisition ;
  • l’organisation de projet complexe, multi-activités ;
  • les contrats et les conventions qui vont mailler les relations entre co-habitants mais aussi avec des prestataires, des partenaires financiers, des clients, des bénévoles, des salariés ;
  • la question préalable du statut du foncier.

La structure d’acquisition

Au départ d’une oasis, se trouve un groupe d’humains qui vont bâtir leur oasis en définissant le périmètre de leur projet collectif. Celui qui les rassemble et leur donnera l’énergie de progresser ensemble dans le temps. Tout part de ce « Nous » et des « Je » qui le composent. C’est le nord dans la boussole que je me suis dessinée pour accompagner les organisations humaines dans leur structuration.

Que l’on se soit abondamment documenté ou pas, il n’est pas rare de rester finalement devant nombre de points d’interrogation. Certaines formes juridiques paraissent pouvoir toutes indifféremment accueillir le projet ; dans d’autres cas, aucune des formes examinées ne semble pouvoir répondre aux aspirations du groupe. C’est alors peut-être que vous vous tournerez vers un spécialiste du droit.

Cet expert maîtrise la technique juridique, il connaît les contours et le contenu de ce domaine, c’est son domaine. Mais il ne connaît pas le contenu du vôtre.

Mon conseil : pour faciliter une exploration collaborative avec le spécialiste du droit qui vous accompagnera, défrichez complètement les espaces suivants : le rapport individuel à la propriété privée, l’usage ou les usages du lieu, le financement, le mode de gouvernance.

L’architecture juridique de votre projet sera d’autant plus facile à dessiner.

Ce qu’en dit Julien, membre du projet “Demain en main” accompagné par Isabelle :
“Après avoir suivi le cours en ligne MOOC Oasis début 2017, nous avons pu mettre en place un collectif et ses règles de gouvernance. Nous avons ensuite défini collectivement nos objectifs et les fonctions que nous souhaitions développer (ferme, habitat, accueil & formation). Le chapitre juridique du MOOC nous a permis d'accéder à plusieurs exemples concrets d'oasis en fonctionnement, et d'établir un « premier jet » des structures et relations entre elles pour notre projet «Demain en main».

En parallèle, durant l'été 2017, nous avons identifié un lieu intéressant pour mettre en place l'oasis. Nous avions ainsi en septembre les besoins suivants :

  • Déterminer les modalités d'acquisition du domaine ;
  • Analyser notre schéma juridique théorique, pour vérifier que les structures choisies sont en adéquation avec les fonctions remplies. Par exemple : la SCIC de type SAS peut-elle fédérer les formations, l'accueil et aussi l'atelier coopératif ?

Avant de faire appel à un compagnon oasis, nous avons rencontré un juriste membre d'un projet collectif près de chez nous (Le champ commun – Morbihan) puis un juriste spécialisé dans l'installation agricole (CER France). Nous nous sommes rendu compte qu'il subsistait beaucoup de questions car notre projet englobait des activités plus diverses et de l'habitation.

Ainsi, nous avons appelé Isabelle, compagnon oasis, pour une formule “Coup d’fil”. Nous lui avons envoyé notre dossier de projet 15 jours avant le RDV téléphonique. Isabelle a analysé notre dossier puis nous avons échangé durant 2h30 sur le schéma juridique théorique et les modalités d'acquisition du lieu. Nous avons retenu un scénario d'achat auquel nous n'avions pas du tout pensé et qui va nous permettre d'être propriétaires de l'ensemble sans risque majeur de préemption de terres agricoles. D’importants points de vigilance ont été mis en avant, notamment sur les difficultés de mélanger activités économiques et structures associatives.

Au final, cette intervention a été très bénéfique pour notre projet, et a éclairé le collectif sur l'intérêt de se faire accompagner pour les sujets complexes."


Structuration de projets complexes

Habitat, agriculture, formations, salle de répétition, école, salle de spectacles, espace de co-working, artisanat, découverte et protection de la nature, pépinière de start-ups, camping, aquaponie, restauration…

Tout est possible et toutes les activités peuvent co-habiter. Il est extrêmement rare, de pouvoir tout placer sous un même toit juridique sans prendre le risque de perturbations significatives. Comme dans tout village, chaque fonction va trouver sa place, et certaines pourront se partager un même espace juridique.

Il est donc essentiel de progresser pas à pas, en ayant à l’esprit l’image de l’ensemble, tout en regardant chaque fonction pour elle-même et pour le rôle qui lui sera attribué. Sans multiplier inconsidérément le nombre de structures, l’objectif sera de trouver une organisation cohérente.

Mon conseil : il est utile de se livrer à une projection du fonctionnement futur des activités, de dessiner le réseau de relations qui sera plus tard un réseau contractuel, de penser à la position et au mode opératoire de chacun, d’être très concret.

Le droit est un outil, tout revient au « Nous »

Quelques fois vu comme un obstacle à la créativité, le droit permet en fait de charpenter votre projet, lui donner sa forme, l’abriter et parfois servir de révélateur. Ce n’est pas un substitut au travail de conception que vous ferez, mais il vous obligera à la transparence et à vous poser avec lucidité certaines questions autrement éludées.

Il est également important d’entendre que les organisations, parce qu’elles sont vivantes, peuvent aussi être amenées à évoluer dans le temps et à s’adapter à de nouvelles conditions.

Ce qu’en dit Françoise, du Hameau des Buis, accompagnée par Isabelle Mallézé :
“En quoi consistait mon besoin ? Il s'agissait surtout de monter en compétences sur les possibilités de l'arsenal juridique pour sortir d'une situation élaborée dans un contexte ancien et peu collectif.

Sur ce point j'y vois un peu plus clair, mais pas complètement. C'est à dire que je sais quelles démarches il faut faire, et ce travail est commencé. Le groupe avait besoin d'en savoir plus sur les éventuelles conséquences d'un défaut de paiement de la part du principal sociétaire. Là-dessus la réponse a rassuré tout le monde.

Du coup, ces échanges ont un peu détendu l'atmosphère et diminué le sentiment d'urgence, et permis au groupe de se remettre au travail plus sereinement. J'écris cela tout en étant consciente que le plus gros reste à faire, mais cela ne dépend pas seulement des réponses techniques, mais bien de notre capacité (et de notre détermination) à construire un « Nous »"
Iii0208LePointDeVueDIsabelleAvocateE (LMS Activité), écrite par LouiseDew
créée le 29.09.2020 à 16:14, mise à jour le 20.04.2021 à 15:05