Gilles Daveau est l’une des figures clés du parcours sur l’alimentation sorti au printemps 2018. Il a partagé son expérience dans trois vidéos du parcours, notamment “idées reçues sur la viande”, “comment cuisiner” et une immersion dans l’un de ses ateliers cuisine. Retour sur son parcours et sa vision d’une alimentation qui allie plaisir et durabilité.
Est-ce que vous pouvez vous présenter et parler de ce qui vous a amené à vous intéresser à ces questions d’alimentation ?
Je suis Gilles Daveau, formateur en cuisine et je m’attache à faire découvrir au public les cuisines végétariennes du monde depuis les années 80. J’ai également participé au montage d’une coopérative de produits bio dans l’ouest de la france.
Je suis issu de la sociologie et je me suis rendu compte que ce qui était proposé dans les magasins bio au niveau des produits végétaux était des produits très peu connus du grand public à l’époque, comme les pois cassés le millet les algues le tofu, la sauce soja… On était à une époque où les habitudes alimentaires étaient déjà fortement dictées par la grande distribution, les habitudes alimentaires s’étaient déjà beaucoup rétrécies.
Pour moi c’était évident que pour développer l’agriculture bio il était nécessaire d’avoir des lieux où les gens pourraient découvrir les aliments végétaux qui étaient de plus en plus délaissés et apprendre à les cuisiner. Une cuisine simple qui permette de manger bio sans que ça ne coûte plus cher.
L’outil de cette démarche a été les cuisines végétariennes du monde : apprendre à cuisiner des céréales, à travailler avec des légumes secs, apprendre à donner du goût aux légumes pour qu’on ait plaisir à constituer un plat simple, faisable dans la vie quotidienne.
Mon métier c’était de faire découvrir cela au grand public, j’ai commencé en 1987 et j’ai ouvert un restaurant de 20 places, qui a très vite plus que doublé et on a fait ça pendant à 10 ans à Nantes en proposant une restauration 100% bio au prix d’une pizzeria.
L’idée c’était de faire un lieu pas forcément identifié écolo-bio, on avait un public très varié. Dedans les végétariens représentaient 10% de la clientèle et les personnes qui mangeaient bio 30%.
Je suis ensuite devenu traiteur, je livrais les magasins bio en produits végétariens, tartes aux légumes, des pizza, des spécialités de céréales. J’ai fait ça 12 ans jusqu’en 2010 avec en parallèle une activité événementielle pour des mariages, de la restauration de séminaire. Nous étions une petite entreprise avec 5 personnes et une très forte croissance.
En complément j’ai toujours fait des cours de cuisine, de la formation et en particulier depuis la fin des années 90 avec le réseau dont je faisais partie dans le sud de la France j’ai donné des formations pour les cantines, pour l'introduction des produits locaux, bio, d’origine végétale dans les restaurants scolaires et les cantines d’entreprise. Depuis 2010 je me consacre uniquement à la formation à travers des cours de cuisine, des formations pour les professionnels des interventions, conférences, l’accompagnement de collectivités qui se questionnent sur l’alimentation durable.
J’ai écrit le manuel de cuisine alternatives auto-édité avec mon fils, et qui a été repris par Actes Sud. C’est le condensé de 25 années de cuisine, et j’y ai mis le coeur de ce que je transmets, c’est à dire une cuisine extrêmement simple, basée sur l’utilisation des céréales, des légumineuses, les légumes. Le livre n’est pas orienté exclusivement sur le végétarisme mais cherche plutôt à accompagner les gens pour faire évoluer leur façon de se nourrir.
Depuis j’ai également contribué à un livre collectif sur les légumes secs, avec l’école des hautes études en santé publique, et plus récemment avec Actes Sud et Kaizen un petit livre sur la façon de s’y prendre pour manger moins et peu de viande : comment aborder cette question, la dédramatiser et comment faire pour soi-même aller vers une alimentation moins axée sur la viande, en particulier, la viande industrielle, dont on connaît aujourd’hui les impacts.
Justement, en quoi selon vous l’alimentation est-elle un élément fort de la transition écologique ?
On est dans une époque de l’information, des loisirs, du développement économique. L’alimentation, moins elle prend de place, plus elle est réduite, utilitaire mieux les gens se portent. Sa part a beaucoup diminué dans le budget des familles, elle a été divisée par deux dans la seconde moitié du XXe siècle. Malgré cette petite part, et la volonté d’y passer le moins de temps possible d’éviter si on peut de faire la vaisselle, la cuisine, les courses, on s’aperçoit que c’est encore au coeur de la vie des gens. A travers ce qu’on mange, il y a une agriculture, des modes d’élevage, des relations Nord/Sud, une empreinte sur la planète, la possibilité ou non de nourrir 10 milliards d’habitants à l’horizon 2050. Globalement notre alimentation impacte l’énergie, l’aménagement du territoire, les relation sociales, les questions de santé publique, ça impacte tout, même si c’est un peu devenu quelque chose de secondaire dans la vie des gens.
Paradoxalement on en parle beaucoup de gastronomie, on parle beaucoup de nutrition. Ces sujets deviennent des arguments commerciaux pour pouvoir différencier les offres alimentaires, mais au fond le paradoxe c’est que ça réduit dans nos vies, dans nos centres d’intérêt et c’est souvent vécu sur le mode de la culpabilité mais au fond ça reste au coeur des vies et c’est l’un des lieux où c’est le plus évident que se joue la transition.
Suivant le contenu de notre assiette, la capacité que nous avons à avoir une alimentation variée, de qualité préparée avec des produits bruts cuisinés maison quand on a le temps, on peut avoir des impacts très importants sur le développement rural, sur les pratiques agricoles, sur les modes de distributions avec les circuits courts, on peut avoir du lien direct avec les producteurs, mais pour ça il y a des choses à apprendre et à découvrir.
Dans notre société agro-alimentaire qui s’est généralisée à partir des années 70 pour toutes les couches de la population, en réalité les pratiques alimentaires se sont énormément réduites et standardisées.
On est passé d’une alimentation variée, qui était liée à ce qu’il y avait, sans congélateur, avec des saisons obligatoires, à des alimentations incroyablement simplifiées, routinisées, standardisées et industrialisées. L’abondance est devenue un argument marketing pour désormais jouer sur des niches, en jouant sur la qualité bio, l’esprit “veggie” alors qu’on est toujours sur des choses en barquette plastique et très standardisées.
Même les arguments qui plaident pour la qualité nutritionnelle, la qualité environnementale sont très vite récupérés par un système où les gens ne sont plus autonomes. Les grands enjeux alimentaires, ce qui fait que l’on peut avoir un impact en termes de transition écologique, c’est l’éducation pour que les gens redeviennent autonomes.
Bien manger, ça ne coûte pas forcément cher, ça ne prend pas forcément beaucoup de temps, ça ne coupe pas forcément des autres. Ca n’a pas à être radical ou nous coûter notre culture, nos racines. On s’aperçoit que tous les régimes extrêmes qu’ils soient crudivores, vegan, tout bio etc sont rarement durables. Il y a toujours une rupture à un moment donné avec l’environnement, et une rupture avec soi même, son identité, ses racines, ses habitudes, etc.
Pour moi l’enjeu ce n’est pas de passer de 3 à 4% de végétariens. L’objectif c’est que tout le monde change un peu, retrouve cette autonomie, cette simplicité, et pour cela les cantines ce sont un enjeu très intéressant car c’est du bio pour tous. Quand on remet des protéines végétales dans le menu, un peu plus de cuisine maison, des choses simples sans ambitions tape à l’oeil ou gastronomique, on touche beaucoup la vie des gens.
Pour cela, un des défis qu’on a c’est de faire en sorte que l’alimentation reprenne une valeur symbolique, qu’elle redevienne quelque chose à laquelle on accorde de la valeur et du temps et ça ne marche vraiment que quand l’alimentation redevient un élément éducatif du projet de l’école.
Quand on mange on fait des maths, de la biologie, de la chimie, de l’histoire de la géographie. Avec ce que l’on mange, on peut trouver un cas pratiques de toutes les matières qui sont enseignées à l’école. Quand on commence à questionner les façon de cuisiner, de préparer on s’aperçoit à quel point les gens ont rétréci leur univers et ont peur d’aller au delà de ce qu’ils connaissent.
Quelle a été votre motivation pour rejoindre le parcours alimentation de l’Université des colibris ?
Ce qui me plaît chez les colibris c’est l’idée que chacun fasse sa part. On ne demande pas de traverser des gouffres, et la transition écologique n’est pas une affaire de vertu, c’est une question d’ouverture à des choses que l’on ne connaît pas.
Quand je montre en cours de cuisine comment cuire du sarrasin ou du millet et qu’avec le petit groupe en les mettant deux par deux à faire des tomates farcies, un petit gratin, une salade, un crumble, on s’aperçoit qu’il y a plein de choses à faire pour la vie quotidienne, simples, faciles, accessibles.
Je me reconnais dans la démarche des colibris qui est de dire : quelles sont les choses simples que l’on peut mettre en place et qui vont faire que déjà demain, on est pas tout à fait pareil, alors que les changements écologiques sont souvent présentés de manière très radicale.
Finalement réapprendre à cuisiner, c’est aussi un travail sur soi ?
On s’aperçoit que globalement cuisiner c’est sortir du connu. Quand on touche au connu, surtout sur des choses aussi intimes et centrales que se nourrir, le changement fait peur.
Les pédagogies de la transition, c’est provoquer des situation de découverte et de rupture : quand on commence à faire un plat simple économique, rapide, par exemple avec des haricots, peut être que ce n’est pas encore des haricots bio mais on a mis une protéine végétale en scène, pas chère, accessible pour tous les budgets… ça c’est une sacré rupture ! Il s’est passé beaucoup plus qu’un apprentissage culinaire, on s’est reconnecté à ses sens, à son intelligence, se dire “moi aussi je peux le faire, c’est à ma portée” et chacun est un vecteur de transition à travers la capacité qu’il a à s’ouvrir, sans faire la leçon ou être un héros de l’écologie qui fait tout mieux que tout le monde… Il s’agit de se rappeler qu’on est pas captif d’une recette ou d’un fournisseur agroalimentaire !